Chronique de Mustapha Jmahri : Punition méritée de mademoiselle Fatima Rahmoun

C’était en 1963-64, à l’École libre Tahdib, sise au quartier derb Ghalef à El Jadida. Établissement de renom, il fut créé par le mouvement national représenté par le Parti de l’Istiqlal à l’époque du Protectorat. L’ambassadeur Kacem Zhiri était son premier directeur, alors que ma génération a connu Haj Mohammed Tazi dans ce poste.
Au CM1, notre maîtresse de français était mademoiselle Fatima Rahmoun, jeune fille jdidie d’une famille bien connue. Elle avait fait ses études à Rabat et c’était sa première année d’exercice de son métier d’enseignante. Sa leçon était appréciée et on était fiers de parler en français, non pas comme les élèves de l’école de la Mission française Charcot, mais autant.
Une discipline stricte régnait dans la classe. La leçon se déroulait dans l’attention et le silence. Aucune marge n’était tolérée pour le chahut.
Généralement, le mercredi c’était la locution. Sur la base d’une photo du livre, les élèves répétaient chacun la phrase prononcée en premier par la maîtresse. Cela donnait à chaque élève l’opportunité de contrôler sa diction et de s’exprimer en français d’une façon convenable. La maîtresse corrigeait la prononciation en cas de besoin.
La locution, en ce jour mémorable pour moi, portait sur la phrase :

  • La robe de Catherine est jolie !
    Pourquoi Catherine ? Je ne sais pas car ça pouvait être une autre fille, marocaine par exemple, Fatiha ou Naïma, mais la photo en couleur présentait une Catherine blonde avec des yeux bleus et une belle robe avec des motifs de petites fleurs.
    Toute la classe répétait la phrase.
    Nous étions assis sur deux rangées et, dans chacune, il y avait des tables pour deux garçons ou deux filles. Devant moi, il y avait deux filles : B et une autre camarade dont j’ai oublié le nom. À cette époque, les tables en bois avaient une particularité : les sièges étaient composés de deux longues planches parallèles avec un espace vide entre elles.
    Comme j’étais au milieu dans la deuxième rangée, j’ai calculé que mon tour viendrait dans plusieurs minutes. À la longue, ça devenait un peu monotone de répéter la même chose et donc, en attendant la suite de l’histoire, je voulus me distraire une minute.
    J’ai pris mon stylo Bic, je l’ai coincé entre deux orteils du pied droit à travers l’ouverture de ma sandale Flexoplastic et j’ai allongé ma jambe bien loin devant moi. Avec la pointe de mon stylo, j’ai touché ma camarade B devant moi. Elle a réagi rapidement et s’est tournée vers moi avec un regard plein de colère. Mais Dieu merci, B n’a pas fait de scandale et aucun élève autour de moi ne s’est rendu compte de quoi que ce soit. Seul problème quand ce fut mon tour de répéter la phrase du dialogue : je ne me rappelais que d’un seul mot « Joli » mais je ne savais plus ce dont il s’agissait.
    La maîtresse attendait ma réponse.
    Elle s’impatienta :
  • Alors Mustapha, va-t-on s’éterniser pour une petite phrase que toute la classe vient de répéter ?
    Les regards se braquèrent sur moi, les élèves aimaient ce genre de situation tant qu’ils n’étaient pas eux-mêmes concernés.
    Alors, sans faire plus attendre, j’ai lancé au hasard :
  • Catherine est jolie !
  • Ah bon ? On aurait pu dire aussi que Mustapha est beau.
    Je ne savais pas quoi dire : j’ai pensé à cet instant que je m’étais mis dans un sale pétrin en faisant fi du conseil de mon père d’éviter les problèmes autant que possible. La punition ne s’est pas faite attendre : quelques coups de règle s’abattirent sur la paume de ma main.
    Plus de peur que de mal.
    Longue vie à mon ancienne maîtresse puis professeure Fatima Rahmoun qui a également enseigné au lycée ibn Khaldoun d’El Jadida. Je suis fier d’être parmi l’un de ses plus anciens élèves avec des amis tels Abderrahim Bansar, Moulay Ahmed Harrari, Malika Belhouari et docteur Abdellatif Guesmi.
    Jmahrim()yahoo.fr

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