Azemmour, cité historique posée au bord de l’Oum Rabiâ, ne manque ni de charme ni de saints. Dans cette ville marocaine, les marabouts jalonnent les ruelles comme autant de repères spirituels. Certains sont célèbres bien au-delà de la région, d’autres plus discrets, presque oubliés.
Qui ne connaît pas Moulay Bouchaib Erradad – le fameux « 3attay la3zara » , dont le prénom « Bouchaib » est porté fièrement par une génération entière d’hommes du Doukkala ?
Qui n’a jamais entendu parler de Lalla Aïcha Al-Bahria, sainte au flair matrimonial redouté, capable, selon la légende, de chasser le mauvais œil (Anna7s) et d’attirer un mari, si possible riche, pour les célibataires désespérées ?
Et que dire de Sidi Ouaâdoud, sur l’autre rive de l’oued, qui passe pour un spécialiste en fertilité féminine ?
Ces saints forment un trio légendaire : Lalla Aïcha vous trouve un mari, Sidi Ouaâdoud vous donne des enfants, et Moulay Bouchaib veille à ce que l’un d’eux soit un garçon, histoire de perpétuer le nom et préserver le patrimoine familial.
Mais si ces figures populaires occupent l’imaginaire collectif, une autre, bien plus discrète, intrigue par son invisibilité médiatique : Sidi Mohammed Ben Abdellah.
Son tombeau ? Il trône en plein cœur d’Azemmour, occupant les trottoirs du centre-ville. Une présence si ancienne qu’on l’oublie presque. Les passants le contournent machinalement, souvent en marchant sur la chaussée, exposés aux dangers de la circulation. Exactement comme le font les jdidis en contournant Lalla Zahra.
Mais à qui la faute en cas d’accident ?
Au piéton forcé de slalomer entre les voitures ?
Aux autorités, qui préfèrent ne pas toucher à ce qui relève du sacré, de peur de froisser les croyances ?…
Pourquoi ne pas transférer le tombeau dans un cimetière de la ville? Un geste simple qui libérerait la voie et illuminerait le quotidien de voisins condamnés à vivre à l’ombre du sacré.
Certes, le tombeau était là bien avant la route et les trottoirs. Mais faut-il pour autant accepter qu’il continue à défier la logique urbaine ?
Jusqu’à quand les villes devront-elles continuer à s’adapter aux morts?
À ce rythme, il ne faudra pas s’étonner si, demain, on érige des tombeaux en guise de ronds-points, à l’indienne…
Wa fiq a Chafiq.
Par Abdellah Hanbali