La période de 1907 à 1911 fut agitée au Maroc notamment suite à l’intervention française du 30 juillet 1907 à Casablanca. En août de la même année le croiseur français Gallilée débarqua dans cette ville 6.000 hommes sous la conduite du général Antoine Drude (1853-1943), quant au général d’Amade (1856-1941), il commanda la campagne de la Chaouïa.
Les tribus ne tolérèrent pas l’intervention française et en février 1908, la France dut mobiliser plusieurs bâtiments de guerre sur la côte marocaine en prévision de soulèvements populaires. L’amiral Joseph Alphonse Philibert (1848-1926), commandant la force navale détachée sur les côtes marocaines ordonna une répartition des bâtiments de guerre : le Kléber devant Casablanca avec le Condé et le Forain assura les courriers avec Gibraltar. Le croiseur Jeanne d’Arc se positionna devant Tanger, le croiseur Gueydon devant Rabat, le croiseur Lalande devant Bouznika et le croiseur Descartes devant Mazagan-El Jadida. Le Du Chayla se rendit devant Mogador-Essaouira et le Chasseloup Laubat fut envoyé à Tanger.
Apparemment il n’y eut aucune attaque de ces villes. La situation, malgré quelques sérieux remous, resta relativement calme dans les ports comme à Mazagan et Mogador.
Mais alors que le croiseur Descartes (commandant Charles Mornet) était dans la rade de Mazagan en ce matin du 16 février 1908, une explosion survint. Un télégramme de l’amiral Philibert fit connaître qu’un tuyau de vapeur avait crevé à bord du croiseur. Six hommes avaient été grièvement atteints. Le maître mécanicien Bars, le quartier-maître chauffeur Autret et le chauffeur Meynial avaient succombé. Les trois autres blessés étaient le quartier-maître chauffeur Bezard et les chauffeurs brevetés Prado et Turban. Le ministère de la Marine transmit l’information de l’accident aux familles des marins concernés.
Un correspondant particulier sur place informa Tanger par dépêche du 17 février 1908 de cette « triste nouvelle ». Cette information plus précise indiqua que cet accident grave se produisit à bord du croiseur, dans la rade du port, à la suite de la rupture d’un tuyau collecteur, la vapeur envahit alors la chambre des machines. Ce tuyau de la chaudière à vapeur servait à la propulsion du navire. Selon un journal de l’époque « À en croire les premières rumeurs, le nombre des morts serait de dix. Il y aurait trente blessés ».
Le nombre des tués et des blessés diffère selon les sources mais une carte postale ancienne adressée de Mazagan par un soldat, en date du 17 février 1908, vraisemblablement à son épouse ou sa fiancée qu’il nomme « Ma chère Jeanne » parle de six morts et sept blessés. La carte est envoyée à une certaine madame G. Gueguen, maison Daumas, route du Moulin, à Toulon. Ce qui est intéressant dans cette missive c’est que son expéditeur ajoute que les décédés du croiseur avaient été enterrés sur place et non rapatriés. Il écrit que « aujourdhui lundi on les a enterrés à Mazagan loin de chez eux ». La signature de l’expéditeur en bas de son texte manuscrit, au stylo noir, est illisible.
Malgré ce grave accident qui occasionna six décès, les missions du croiseur Descartes ne furent pas interrompues. La situation sur place s’étant apaisée, le Descartes avait pris la direction de Tanger qu’il rejoignit la nuit.
Mais l’on se demande si l’expéditeur de la carte postale ne faisait pas partie de l’équipage du croiseur, car l’on apprend par le journal La Presse (10 juillet 1913) qu’un enseigne de vaisseau nommé Adolphe Gueguen faisait partie de l’équipage du croiseur. Un nom tout à fait identique à la destinatrice de la carte postale résidente à Toulon. LÉtat-major du Descartes comprenait seize officiers dont le commandant Henri Pugliesi-Conti, premier officier, le lieutenant du vaisseau Abel Prévinquière, officier en second et le médecin major Louis Léon Mauran.
La raison pour laquelle les corps des six marins ont été enterrés au cimetière local on pourrait supposer que ces corps étaient en mauvais état. Dans tous les cas, le croiseur, n’avait, à notre avis, que deux possibilités : soit embarquer les six marins décédés pour les lancer au large à une vingtaine de milles au large, soit les enterrer sur place. Le choix s’est porté sur la seconde option, probablement, pour donner une chance aux familles de venir se recueillir sur leurs tombes.
Aujourdhui la difficulté est de retrouver les traces des six sépultures car le premier cimetière catholique, près de Souk Lekdim en médina, a disparu. Sa position était bien précisée sur le plan de Mazagan levé par le capitaine N. Larras en 1899 et révisé par la Mission Herriot en 1906. Ce plan ne mentionne pas l’existence du cimetière européen actuel à la sortie de la ville qui probablement ne fut créé que vers 1912 comme le précise Jean-Claude Fouché, président de L’Association d’entretien du cimetière européen dEl Jadida.
Un ancien de la ville souligne qu’il est très probable que les sépultures des six marins avaient été transférées au cimetière européen ouvert à l’entrée d’El Jadida après la fermeture de l’ancien cimetière en 1954. Cependant notre vérification sur les lieux s’est avérée infructueuse.
Le Descartes, de type croiseur protégé de deuxième classe, était en partie en bois, et ses organes vitaux machines motrices, chaudières, appareils à gouverner, soutes à munitions étaient protégés au moyen d’un pont cuirassé en dos d’âne. Le croiseur, construit pour la Marine française à Nantes, fut mis en service en juillet 1896. Il avait notamment pour mission de montrer le pavillon national à l’étranger et dans l’Empire français. Il fit partie de la Division de l’Océanie indien et, en 1912, intégra la Division des Antilles et de Terre-Neuve. Attaché à la station navale de Terre-Neuve, le Descartes surveillait les pêcheries des bancs, du point de vue des intérêts français dans ces parages, et portait secours aux pêcheurs en détresse.
Affecté dès l’origine en outre-mer, le Descartes connut une longue carrière étant en service de 1896 à 1918. Il fut rayé de la flotte en 1920.
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