Driss Ameur connu aussi par Driss Sbaï, son nom maternel, faisait partie de ces deux anciennes familles d’El Jadida. Certains élèves de son quartier l’appelaient aussi parfois « le Gaucher » car effectivement il en était un. Driss était mon camarade de classe à l’école Tahdib de derb Ghallef, l’école, disait-on, des ouled lebled (les enfants de la cité). Notre directeur était le nationaliste istiqlalien Haj Mohammed Tazi. Si beaucoup des amis de Driss l’ont connu à l’âge adulte ou dans sa vie active à la Conservation foncière, personnellement j’ai eu tout le plaisir de le côtoyer dans la phase de l’innocence et de la simplicité.
De cette époque, je garde de Driss, décédé, prématurément, le 29 décembre 2009 suite à une rapide et redoutable maladie, l’image d’un enfant d’une extrême gentillesse et au sourire attachant. Nous nous sommes perdus de vue après le collège suivant l’orientation de chacun. Puis, plus tard, quand nous étions devenus responsables de familles, je l’avais retrouvé à El Jadida, sans qu’il ne perdît son sourire caractéristique. Un sourire émanant du fond du cœur et qui, pendant toute sa vie, ne l’a jamais quitté.
Après notre retour de Casablanca, ma famille s’installa dans notre ferme (sania) dans la banlieue d’El Jadida. Banlieue qui a totalement disparu depuis sous un tsunami de béton. Je parcourais alors quatre kilomètres pour venir jusqu’à l’école et c’était ainsi que j’accompagnais quelquefois Driss chez lui. Il habitait rue du docteur Blanc au quartier Marshan, c’est-à-dire presque dans les parages de notre école. Parfois, nous mangions ensemble. Je voyais sa maman mais pas son père qui était en France à cette époque. Lors de mes visites chez lui, nous en profitions pour faire quelques petites escapades dans l’entourage. Ce fut ainsi que, grâce à Driss, je fis la découverte du Môle et de la côte rocheuse près de si-Daoui où les enfants du quartier venaient chercher les vers marins.
On était dans la classe avec d’autres enfants de la famille de Driss ou apparentées ainsi que d’autres familles jdidies. Je pense à Omar Sbaï, Driss Touati, Mohammed Lahlou, Fatima Belhouari, Fatima Afaf, les frères Rokhssi, les frères Lebbar, Kamal Tazi, Moulay Ahmed Harrari, Fatima Chorfi, Fariha Bahbouhi, Abderrahim Bansar, Aboukhassib, Fouzia Yahyaoui et bien d’autres camarades, dont j’ai oublié les noms, mais dont les visages restent à jamais ancrés dans ma mémoire.
Dans un deuxième temps, en l’année 1963, l’éloignement géographique entre Driss et moi allait beaucoup se réduire. En effet, il vint parfois vivre avec sa maman dans une villa du Plateau chez son oncle maternel Abderrahmane Sbaï. Ce dernier, ingénieur géographe, fut nommé chef du Service topographique et du cadastre d’El Jadida de 1963 à 1965 (En 1997, il fut nommé ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l’Administration de la Défense Nationale). La villa de fonction, qu’il occupait, se situait à l’angle de l’avenue Brahim Roudani et la rue oued El-Makhazine. À l’époque, le Plateau était le dernier quartier bâti de la ville et il faisait office de frontière avec la banlieue. Il me suffisait alors d’une vingtaine de minutes pour arriver de ma banlieue jusqu’à chez lui. Je l’appelais et on prenait le chemin à pied vers notre école, quelquefois tous les deux ou, parfois, avec un autre camarade Driss Touati.
Quand c’était le dimanche ou lors des vacances, je venais passer un moment avec Driss pour flâner sur l’avenue principale. Parfois aussi, dans l’insouciance de l’enfance, nous affolions les pigeons de la villa voisine qui était alors inhabitée. Dans ce quartier de coquettes villas vivait encore, à l’époque, une majorité d’Européens. Presque en face de la villa où logeait l’oncle de Driss, on pouvait rencontrer les frères Azim qui avaient notre âge et dont le cadet fut, plus tard, délégué du ministère de l’Habitat à El Jadida.
Mais quand la chance nous souriait, Si Abderrahmane Sbaï, avant de regagner son bureau, nous emmenait dans sa Jeep de service. En passant par l’avenue Chouaïb Doukkali, parfois, nous remarquions notre jeune maîtresse de français Mlle Fatima Rahmoun (plus tard épouse de Si Mohammed Guerraoui, ancien gouverneur) qui se dirigeait vers l’école. Nous criâmes tous deux en la voyant : « C’est notre maîtresse, c’est notre maîtresse ». Si Sbaï s’arrêtait et prenait Mlle Rahmoun avec nous. À notre descente devant le portail de l’école, nos camarades nous regardaient avec des yeux émerveillés. Puis, la voiture partie, ils venaient nous bombarder de questions sans fin : Comment avez-vous rencontré la maîtresse. C’est à qui la Jeep ? Il faut dire qu’à l’époque rares étaient les personnes qui pouvaient avoir une voiture.
Le souvenir inoubliable que je garde de Driss dans les années 1960, a fait que lors de la rédaction de mon autobiographie intitulée « À l’ombre d’El Jadida » parue chez l’Harmattan en 2012, j’ai évoqué cet épisode. Driss était la bonté même, vertu devenue plus rare aujourd’hui ; mais comme le disait Nelson Mandela : « La bonté de l’homme est une flamme qu’on peut cacher mais qu’on ne peut éteindre ».
Jmahrim()yahoo.fr