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Le Bipolaire n’est pas un ours blanc qui vit entre les deux pôles. Le Bipolaire est une personne atteinte d’un trouble psychique qui lui fait vivre par intermittence des moments d’euphorie exaltée suivis de profondes déprimes. C’est un mal qui vous tombe dessus sans crier gare et qui peut être déclenché par le fait le plus anodin. J’en ai fait la douloureuse expérience alors que je me trouvais attablé à un café , sirotant un thé , la cigarette au bec et le regard perdu dans les vidéos qui défilent sur mon téléphone. J’étais bien , en pleine capacité de mes moyens à hypnotiser ma conscience et à liquider ma réserve de temps . La situation a commencé à dégénérer quand une dame , traînant derrière elle un jeune homme amorphe , me met sous le nez une ordonnance de psychiatre dûment remplie d’une savante écriture que n’est apte à lire que son complice le pharmacien.
- Fils de famille , me dit-elle, mon fils que voilà est gravement atteint , il ne peut pas travailler , aides-moi pour son traitement que Dieu t’en récompense.
Je n’avais pas d’argent à lui donner , alors je lui servis la formule magique , de celles qui nous dédouane de nos empathies - Allah ijib ( Allah te compensera mon incapacité à t’aider).
Elle s’en retourne vers d’autres clients avec sa mine désespérée et son fils en bout de bras. Je reprends quant à moi le fil de mes distractions. Pas pour longtemps , une autre dame se plante devant mon espace , que je croyais à moi le temps de ma consommation, et me tend également un document , qui lui , revêt un caractère officiel avec ses gros titres et ses cachets bien encrés. Il s’agit d’une mise en demeure de tribunal avant expulsion par tous moyens nécessaires ( l’armée je suppose) du domicile sis etc etc - El Haj , supplie-t-elle, je suis veuve , on me chasse de chez moi si je ne paye pas les loyers en retard , aides moi Dieu te le rendra.
- Allah ijib ,
Une troisième demande , celle de trop , d’un vieillard sénile , incapable de retenir la salive qui goutte de sa bouche édentée. Il n’a même plus la force de parler et se contente de tendre une main tremblante de tous ses os. Je sors tout de même une pièce , qui n’a pas plus de valeur que le bout de métal dont elle est faite et la lui pose au creux des plis de sa paume desséchée. Il met bien une minute à la caler au fond d’une poche qui se confond aux lambeaux de son habit non identifié. Il reprend son parcours , vibrant comme un vieux camion ayant trop servi.
C’est à ce moment précis que mes neurones encore valides ont suggéré à mon cerveau encore allumé , une pensée complètement absurde : - Ne serait-il pas , du rôle de l’Etat avec toutes ses instances , de répondre à la misère ambiante. Puis- je moi-même au revenu incertain et capricieux , assurer à partir de ma table de café , les soins , le logement et la dignité de fin de vie , de mes concitoyens. N’y a-t-il pas une lointaine corrélation entre la victoire aux élections et le minimum de moyens de survie des administrés.
Je savais au fond de moi-même que je ne contrôlais plus mes pensées qui m’entrainaient dans un délire complètement absurde , aux bords de la folie. Mais rien n’y fait , cet être qui s’est réveillé dans les profondeurs de mon subconscient ne veut plus se taire
- L’Etat , insiste-t-il , est le garant du bien être des citoyens , par l’instruction de qualité et gratuit , la santé efficiente sans distinction de moyens et j’en passe et des tout aussi primordiales. L’Etat a une double obligation , par contrat constitutionnel d’assurer à ses « enfants » de vivre et de mourir dans la dignité.
Voilà qu’il se prend pour J.J. Rousseau à présent , mon Dieu que m’arrive t-il , je sombre , je délire - N’avons-nous pas , reprent-il dans le dernier des prophètes , le meilleur exemple à suivre , n’a-til pas créé un modèle de société pour les hommes qu’il a rebaptisé Madina en rapport aux dispositions civiles de la nouvelle organisation des sociétés humaines. N’a-til pas été élu par ses pairs ,ne partageait-il pas la décision , n’a-t-il pas instauré la solidarité sociale …
Je n’en peux plus de ces divagations insensées , je paye ma consommation et m’en vais en urgence consulter mon psy , alors que les pensées sacrilèges tournent en boucle dans mon crâne saturé.
A force de psychotropes et de conseils judicieux , j’ai pu vaincre ma crise de déprime. Mon cerveau s’est assagi , mon empathie est à présent très mesurée , insensibilisée par la merveilleuse alchimie de la bienfaitrice industrie pharmaceutique. J’ai enfin compris , dans une acceptation bienheureuse que tout est prédestiné , la richesse comme la misère , les nantis sont bénis ici bas avant l’après , les miséreux quant à eux se traînent d’un enfer à l’autre.
Je me concentre à présent sur les vrais questions existentielles , à savoir par exemple qui va se qualifier aux prochains huitièmes de finale de la CAN 2022.
Par: M’hammed bencherki