Affaire du tueur de Ben Ahmed : et si on parlait enfin de santé mentale ?


Par: Dr Houda Hanbali

L’histoire glace le sang. Des restes humains découverts dans une mosquée, un suspect au regard perdu arrêté, des rumeurs de crimes en série qui enflamment la toile. Très vite, les médias titrent sur un « monstre », les réseaux sociaux s’enflamment. Mais ce qui devrait réellement nous terrifier, ce n’est pas seulement cet homme : c’est le silence autour de sa maladie mentale.
On parle de lui comme d’un assassin. Les faits sont atroces, indéfendables. Pourtant, qui s’interroge sur le malade derrière le criminel ? Âgé de 54 ans, l’homme était connu des services psychiatriques, abandonné depuis longtemps par un système de santé mentale à l’agonie. Schizophrénie ? Trouble bipolaire ? Dépression délirante ? Nul ne semble vouloir creuser davantage. Pourtant, un pays qui laisse ses malades mentaux errer sans soins finit toujours par récolter des drames.
Le délire, ce n’est pas une simple idée bizarre. C’est une certitude inébranlable, fabriquée par un cerveau coupé du réel. Aucune logique ne peut la faire vaciller.
En psychiatrie, on distingue plusieurs types de délires :

  • Paranoïaque ou de persécution : « Ils veulent me tuer. »
  • Mystique : « Dieu m’a confié une mission. »
  • De grandeur : « Je suis le roi caché du Maroc. »
  • Érotomaniaque : « Cette star est amoureuse de moi. »

Pour ceux qui en souffrent, ces croyances sont aussi vraies que la pluie qui tombe. Sans traitement, le délire devient une prison intérieure. Et parfois, une menace pour les autres. Sans soins, sans suivi, ces malades deviennent des bombes à retardement… ignorées jusqu’à l’explosion.
Le drame de Ben Ahmed est terrible. Mais le véritable scandale, c’est l’état de délabrement de la psychiatrie publique au Maroc :

  • À peine 500 psychiatres pour 37 millions d’habitants.
  • Des hôpitaux psychiatriques dignes du Moyen Âge : à Berrechid, certains patients mangent encore à même le sol.
  • Des familles démunies : quand ton fils délire, tu choisis entre l’enchaîner, le cacher… ou attendre l’irréparable.
  • Des assurances sociales qui tournent le dos à la santé mentale, rendant soins et traitements inaccessibles pour la majorité.

Et maintenant ? Que fait-on ? Attendons-nous le prochain fait divers sanglant ? Ou continuerons-nous à traiter la santé mentale comme un tabou, alors que l’OMS estime qu’un Marocain sur quatre sera confronté à un trouble psychique au cours de sa vie ?
Cette affaire doit être un électrochoc.
Il est temps d’ouvrir des centres de santé mentale dans chaque quartier, de former des soignants, d’intégrer la sensibilisation aux maladies psychiques dans nos écoles. Il est urgent d’arrêter d’utiliser « majnoun » comme une insulte.
Un fou qui tue, ce n’est pas seulement une vie brisée. C’est l’échec de toute une société.

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