Chronique de Mustapha Jmahri : L’image d’El Jadida dans le récit autobiographique de Bouchra Benabderrazik

L’ami Kamal Bennouna, ancien directeur de l’Office Régional de Mise en Valeur Agricole du Gharb, auparavant ancien responsable à l’Office des Doukkala à El Jadida, m’avait raconté un jour, après sa retraite, comment dans sa jeunesse, dans les années 1960-70, sa famille de Marrakech venait, chaque année, passer les vacances d’été à El Jadida. Un rituel respecté pendant de longues années par beaucoup de Marrakchis. C’est comme ça que fut sa première découverte de cette cité, autant dire avec le romancier soudanais Tayeb Salih que c’était la saison de la migration vers le nord marin. Perle de la côte atlantique avec sa longue plage, son bleu azur, sa fraîcheur, ses palmiers, l’abondance de ses marchés, ses quatre cinémas et son théâtre animé, les Marrakchis ne pouvaient trouver mieux qu’El Jadida pour un été dont ils ne pouvaient mieux rêver.
Cet afflux des Marrakchis, depuis bien longtemps, n’est plus à l’ordre du jour. Il était dans leurs gênes, inscrit dans la logique des choses et de la grande histoire. Par le passé, El Jadida était considérée comme le port de Marrakech par lequel elle exportait ses produits et en recevait d’autres acheminés par caravanes empruntant la célèbre Route de Marrakech. Cette route partait du devant la Cité portugaise à El Jadida jusqu’à Bab Doukkala à Marrakech. L’ami Jilali Derif, secrétaire général de l’association « Doukkala Mémoire pour la Préservation du Patrimoine » a consacré, en janvier 2016, un article documenté au centenaire de cette route.
Ce fut un temps avant que n’arrive le changement des habitudes et les Marrakchis se tournèrent alors vers Essaouira, plus proche.
L’occasion de ce propos est le récit autobiographique du père de Bouchra Benabderrazik (née en 1958, diplômée de la faculté de pharmacie de Chantenay Malbry) intitulé « Le centenaire de Marrakech : Fqih Benabderrazik, 2018 ». Ce livre relate la vie d’un grand théologien du siècle dernier qui a vécu centenaire et qui a lutté toute sa vie pour promouvoir une certaine idée de la femme marocaine : instruite, autonome occupant une place privilégiée dans la société marocaine.
Mais quel rapport avec El Jadida ?
J’ignorais moi-même ce rapport en consultant le livre de Bouchra Benabderrazik jusqu’à ce que je tombe sur une petite partie concernant cette ville. C’est toujours ma manière de faire : chercher si El Jadida est mentionnée quelque part dans un texte ou récit écrit ou oral. L’auteure de l’ouvrage raconte que sa famille de Marrakech avait respecté pendant des années cette tradition ancrée chez les familles de la ville ocre pour venir passer l’été à El Jadida. Sur cinq pages Bouchra Benabderrazik décline ses souvenirs de leur séjour dans la capitale des Doukkala avec moult détails à tel point qu’en tant qu’historien de cette ville, de la même génération, je me retrouve dans tout ce qu’elle dit. La cité, à l’époque, « était l’une des plus jolies villes côtières du Maroc. Son climat aussi était doux et tempéré. Elle était encore peu fréquentée ».
En été, El Jadida vit sa population augmenter par l’arrivée de ces hôtes facilement repérables à leurs habits légers et identifiables à leur accent spécial que nous remarquions.
La famille de l’auteure appréciait grandement cette cité cosmopolite qu’elle commença à fréquenter pour l’été dès les débuts des années 1950. Son père se préparait pour venir à El Jadida déjà au mois d’avril. Pour cet enseignant, il ne s’agissait pas d’une petite escapade d’une quinzaine de jours mais c’était toute la saison estivale sur trois longs mois. Une bénédiction pour la famille. Le père, louait, en avril, une villa sur le Plateau appartenant à un Français « qui lui faisait confiance ». Comme l’ameublement n’était pas suffisant il recourait à un gros camion pour assurer le déménagement, au début de juillet. Par nuit, il arrivait, chargé de meubles, de l’électroménager et de matelas.
La grande famille s’installait avec parents et enfants mais aussi, la grand-mère, les tantes, l’oncle, son épouse et ses enfants. Tous aimaient se baigner et s’allonger sur le sable, sauf le père, le Fqih, qui se tenait à l’écart, « par pudeur il ne descendait pas à la plage. Il laissait sa famille profiter des plaisirs liés à la mer, mais sans y prendre part ». Un parc permettant d’accéder à la plage, un café surplombant la mer diffusait loin à la ronde les belles chansons d’Oum Keltoum, sans oublier « le marchand de beignets chauds et croustillants à dix centimes pièce ».
L’évocation d’El Jadida par l’auteure ravive ses souvenirs. Elle raconte comment les enfants allaient aussi avec leur grand-mère « prendre un goûter à la Pâtisserie Royale, en centre-ville, un très bon salon de thé tenu dans les années 1960-1970 par M. et Mme Philippe. Leurs éclairs au chocolat et leurs mille-feuilles étaient délicieux ». Puis venait la sortie avec la mère aux boutiques du marché central réparties sur deux étages avec leur étalage de fruits, légumes et sa viande excellente, dit-elle. Sa maman prenait plaisir à y faire ses courses.
En dehors d’El Jadida, la famille piqueniquait des fois dans la forêt de Haouzia à quelques kilomètres sur la route d’Azemmour. « Au-delà de la forêt il y avait la mer. Du sable fin, l’immensité de l’océan, le bleu du ciel, une plage vierge ! Un rêve à l’état d’éveil ».
Cette autobiographie mérite plusieurs lectures pour analyser ses enjeux. Mon propos reste ici limité à ce seul aspect.
Jmahrim()yahoo.fr

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