Entretien mené par Mustapha JMAHRI
Philippe Bodénès, docteur d’histoire moderne est le Président de la SAMM – Société d’Archéologie et de Mémoire Maritime. Ses domaines d’expertise sont l’histoire maritime des XVIIe et XVIIIe siècle, la flotte de la Compagnie des Indes françaises et les recherches sous-marines. Comme le ministère de la Culture au Maroc a annoncé récemment la découverte de deux épaves de navires près du port d’El Jadida, nous avons contacté M. Bodénès et lui avons posé quelques questions sur son expérience dans le domaine de la recherche d’épaves en France. Car bien évidement, les recherches sous-marines faites par Philippe Bodénès pourraient s’appliquer aux épaves de navires découvertes près du port d’El Jadida.
Quelles sont les réalisations de votre association ?
** Les membres de la Société d’Archéologie et de Mémoire Maritime réalisent des recherches sous-marines sur les atterrages de l’île de Sein à la pointe du Finistère. Cette zone géographique est l’une des zones de navigation les plus dangereuses d’Europe. Les naufrages y sont légion depuis la nuit des temps. Les recherches réalisées dans les archives nous donnent environ 250 naufrages entre la fin du XVIIe siècle et nos jours. Dans cette liste il y a environ une cinquantaine de navires à vapeur disparus à la fin du XIXe et le début du XXe.
Depuis cinq ans, avec l’autorisation de l’État français, le DRASSM (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) nous les recherchons à l’aide d’un magnétomètre Géométrics, c’est-à-dire en trainant derrière un bateau un « poisson » relié à un ordinateur. L’objectif est de détecter les masses ferreuses laissées dans le fond de la mer par ces navires naufragés disparus. Lorsque le magnétomètre détecte de la ferraille sur le fond de la mer, nous envoyons une équipe de plongeurs pour réaliser une inspection visuelle et prendre des photos et des vidéos. Le but est d’identifier le navire en analysant les artéfacts qui se trouvent encore sous l’eau.
Une fois l’épave d’un vapeur est découverte, pouvons-nous parler alors de découverte d’épave ou de localisation ?
** Après la Première Guerre mondiale dans les années 1920 et 1930, des entreprises de récupération sous-marines ont retrouvé ces épaves et ont récupéré tout ce qui avait une valeur marchande. En général, très rapidement nous constatons que dans les restes du navire il n’y a pas de moteur et que l’hélice a disparu. Les pêcheurs et les îliens de l’île de Sein avaient encore en mémoire tous ces naufrages relativement récents et il n’était pas difficile de les retrouver.
On peut donc dire que les plongeurs scaphandriers avec leurs casques lourds ont découvert ces épaves.
Après le passage de vos plongeurs dans les épaves trouvent-ils généralement des métaux précieux ?
** En effet, sur les épaves que nous considérons comme « vierges » c’est-à-dire jamais plongée, on trouve des hublots en bronze, des raccords de pompe, la cloche de bord et diverses pièces de bronze ou de cuivre.
Lorsqu’il n’y a rien de tout cela, cela veut dire que l’épave a été visitée auparavant par des plongeurs mal intentionnés que l’on qualifie de « ferrailleurs » et qu’elle a été « Nettoyée ».
Dans les années 1970 à 1980, des équipes de plongeurs ont plongé sur ces épaves et ont prélevé, pour les vendre, tous les objets en cuivre et en bronze.
En France, le code du Patrimoine est entré en service en 1989, condamnant juridiquement ces pratiques et interdisant tout prélèvement sans l’autorisation de l’État.
Ils étaient donc dans l’illégalité sans l’être vraiment car il y avait un vide juridique que la première version du code du Patrimoine a comblé en partie.
Que signifie l’expression « découverte d’épave » en archéologie ?
** En archéologie le terme n’a aucune valeur. Les archéologues professionnels ne l’utilisent pas. La seule possibilité est de déclarer l’existence de cette épave à l’État, selon une procédure établie. Il faut envoyer un Cerfa administratif accompagné de toutes les informations nécessaires pour donner une existence juridique à l’épave.
Notre association, la SAMM, en est donc, ce que l’on appelle, « l’inventeur » de façon officielle. Cela ne nous donne aucune prérogative particulière et aucun droit. Cependant, l’information est cette fois officielle et permet de mettre ces informations à disposition des historiens et des archéologues.
Cela permet aux archéologues professionnels de placer ces épaves « déclarées » dans la « Carte du Patrimoine immergé français ».
Si nous découvrons un objet remarquable dans l’épave, nous demandons l’autorisation de le remonter à la surface. L’autorisation est donnée par l’État si, et seulement si, l’association est en mesure de réaliser deux obligations qui sont :1/ Financer le traitement de l’objet afin de faire sortir les chlorures qui détruisent une fois à la surface, les objets ayant séjournés de longues années sous la mer et 2/ Avoir une destination devant du public. Nous avons créé un musée communal sur l’île de Sein.
Les objets remontés et traités ont un numéro d’inventaire au patrimoine immergé français dans une base de données nationale appelée ISHTAR.