Par: Ahmed Benhima (eljadidascoop)
Je perçois la violence conjugale comme une pathologie sociale qui se nourrit dans plusieurs sources (économique, psychique, familiale et même religieuse) et porte gravement atteinte à la sécurité physique des femmes. Il existe aussi d’autres formes de violences, psychique notamment, d’autres types de victimes, des vieillards, des orphelins mais on en parle peu. Laissons alors de côté ces cas rares et occupons-nous du plus visible et du plus courant.
La violence conjugale a pour cadre le foyer familial, ce qui la met déjà hors d’observation, hors de contrôle et lui donne un caractère privé. Mais il arrive qu’elle déborde jusqu’ aux places publiques et qu’elle offre des spectacles gratuits aux badauds et flâneurs qui ne prêtent aucune aide mais abondent en commentaires, le plus souvent incohérents et contradictoires. Ils basculent de l’appel à la retenue à l’incitation au massacre, selon que la malheureuse victime est accusée de « simple désobéissance » (زايغة/ضاصرة/rebelle) ou « de grave délit d’infidélité » (adultère/ فاسدة بنت لحرام).
Dans notre société, rien n’aide la femme à se prémunir contre ce danger ni même à engager une poursuite. L’espace et le lien sont des prétextes qui freinent toute propension à apporter des secours (?مرتو،آش دخلنا الرجل معا /C’est une affaire entre homme et femme), les conditions requises pour inculper l’offenseur sont impossibles à réunir et si la victime survit à son drame, dans quelque état qu’elle se retrouve, les us et coutumes lui intiment d’accepter son sort, de tourner la page, de regagner le foyer (sa geôle), de demander pardon à son « bienfaiteur » /son bourreau (صبري آبنتي،صبري ،راه راجلك، صبري على دارك، على وليداتك). « Dans notre société patriarcale, le dénuement et la précarité font de la femme un être dépendant, vulnérable et sans défense entre les mains d’hommes avides d’autorité et de pouvoir » Les propos du professeur Abdessamad Dialmy que je rapporte ici en substance, rendent bien son quotidien, désolant et pénible.
Je m’arrêterais un peu sur le verset 34 de la sourate les femmes (1) qu’on cite systématiquement pour légitimer le châtiment corporel de l’épouse et pour relever une autorisation de la violation des droits des femmes, à la faveur de lectures et d’interprétations totalement erronées. L’objectif déclaré de l’islam
est tout autre. Les versets et les hadiths qui recommandent l’amour, la bonté et la considération pour la conjointe sont nombreux et tous sont formels (2).
. Selon plusieurs commentateurs, ce verset fait partie du corpus mecquois. Il est donc révélé à l’aube de l’islam et destiné à une communauté dans laquelle les hommes brutalisaient sans scrupule leurs filles et leurs femmes et leur déniaient leur caractère humain. La méthode progressive pour le changement de leur mentalité et- de leur croyance s’imposait. A des hommes qui pour un oui ou un non brutalisaient ou tuaient impunément leurs femmes, leur recommander en cas de litige d’essayer d’autres méthodes (exhorter, quitter pour un temps le lit conjugal), ne frapper qu’en dernier recours et surtout, sans brutalité est déjà un progrès. Mais l’objectif terminal est de bannir totalement cette pratique et d’attribuer à la femme un statut égal à celui de l’homme, en droits et en devoirs. C’est vers cet objectif que tendront, par la suite, versets et hadiths. Il revient donc aux savants autorisés de tirer leçon, de s’inspirer de cette démarche et de faire l’effort (الاجتهاد) qui consiste à instituer des lectures modernes, qui mettent le texte sacré, les paroles du prophète en phase avec chaque époque.
Je ne suis ni théologien ni juriste, je ne donne pas de fatwas, je ne décrète pas de lois mais en tant que musulman qui pratique un islam tolérant, souple et ouvert, je pense que le coran comporte du constant (les dogmes, les principes, les objectifs) et du variable (les législations). Le rôle des spécialistes du droit musulman, des commentateurs et interprètes du saint coran est d’élaborer des approches modernes de lectures pour accompagner les mutations, pour rendre possibles la parité, l’égalité et pour assurer la dignité aux deux sexes en conformité justement avec l’enseignement et l’esprit de l’islam.
Notes :
- « Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les. » Les femmes/34 »
- « Et parmi Ses signes Il a créé de vous, pour vous, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles et Il a mis entre vous de l’affection et de la bonté. Il y a en cela des preuves pour des gens qui réfléchissent (Les Romains 21).
- Le divorce est permis pour seulement deux fois. Alors, c’est soit la reprise conformément à la bienséance, ou la libération avec gentillesse, (La vache 229)
- Le plus vertueux des croyants est le plus généreux avec son épouse (Hadith, (rapporté par Abi Horeira)