Qui des anciens jdidis, n’a pas rêvé de voir sa ville se développer ?
Les générations de la belle époque des années soixante, soixante-dix et même 80 n’avaient pas des rêves extravagants. Avec l’insouciance de l’enfance et l’espoir de la jeunesse, les seuls rêves des jdidis de l’époque se limitaient aux choses pratiques telles qu’avoir des lycées où toutes les branches sont dispensées, une université où poursuivre leurs études supérieures…
Les rêves des anciens jdidis étaient juste des droits légitimes de disposer d’une infrastructure universitaire qui ne les obligeraient pas à quitter leur ville natale ou à s’expatrier. Leurs rêves de développement étaient seulement d’ordre culturel avec l’espoir d’assurer un avenir qu’ils souhaitaient, brillant. Le secteur économique de la ville était, lui, garanti par une agriculture florissante et des richesses naturelles, dont Mère Nature l’a dotée, telles que l’algue rouge, le poisson…
La ville disposait d’espaces verts bien entretenus qui n’avaient pas besoin de pancartes de remise à l’ordre pour garder les lieux publics propres. Les habitants profitaient de leurs promenades dans la quiétude et la propreté car chacun respectait son environnement le plus naturellement possible.
La ville disposait également d’une salle de sport où se pratiquaient beaucoup de disciplines sportives avec compétitions et tournois périodiques. Le club nautique assurait aux amateurs des sports maritimes l’infrastructure nécessaire.
Le Deauville marocain disposait de quatre salles de cinémas où les meilleurs films étaient projetés pour le bonheur des cinéphiles jdidis. Les activités culturelles ne manquaient pas et attiraient les jeunes de l’époque dans le théâtre ou dans la Maison des Jeunes (Dar Chabab) où étaient dispensés des cours d’expression corporelle de chorégraphie, de danse, et beaucoup d’autres activités artistiques.
La cité portugaise, mémoire du passé glorieux de Mazagan était un lieu où se côtoyaient les jdidis des trois religions monothéistes, était un site qui offrait aux visiteurs, ce sentiment de grandeur et de noblesse qui se dégageait des murailles et de l’incontournable citerne.
Que reste-t-il de la mémoire de cette belle ville ?
On espérait et on souhaitait que l’essor économique et l’industrialisation soient accompagnés du développement de tous les autres secteurs, et particulièrement social et culturel. Un développement qui se mesurerait par une évolution des structures de base et qui serait à la hauteur des attentes de la population.
Au grand regret des jdidis, la ville ne s’est développée qu’en superficie. Le béton armé a envahi la ville, ne laissant aucun espace à la verdure, dissimulant la vue et faisant disparaître l’horizon.
De la petite cité de 5000 habitants, El Jadida est devenue une grande ville économique surpeuplée par une population non préparée à la vie citadine où un minimum de règles d’hygiène doit être respecté.
El Jadida est devenue, au fil du temps, une ville fantôme, livrée aux mains destructrices d’un Conseil Communal qui a démoli tout le patrimoine qui la distinguait des autres villes. A commencer par sa belle plage propre dont les cabines ont été murées, et passant par l’hôtel El Cohen et le cinéma de Paris qui a ont été démolis, pour ne citer que ces exemples bien que la liste soit, hélas, bien longue.
Rien ni personne n’a pu faire face ou arrêter cette hécatombe dont a été victime cette belle petite ville.
Le Deauville s’est transformé en décharge publique à ciel ouvert. Ses avenues et boulevards ont été envahis par les marchands et les « restaurateurs » ambulants qui jonchent tous les coins encore exploitables, au vu et au su des gestionnaires, qui feignent parfois, lutter contre l’exploitation de l’espace public, le temps d’une campagne limitée à quelques jours pour laisser, ensuite l’anarchie s’installer.
Que de promesses ont été avancées officiellement donnant espoir aux jdidis que leur ville renaîtrait de ses cendres, qu’un réaménagement serait entrepris, qu’une renaissance de la ville serait imminente … Que de « que » et de « si » ont été avancés par ces élus, ces valeureux gestionnaires de la chose publique qui excellent en discours et en promesses et qui laissent tout au conditionnel.
Depuis des décennies, les Conseils Communaux se succèdent et se ressemblent dans leur art de dilapider les deniers publics en réaménagements qui n’en finissent pas, faisant de la ville un chantier interminable à ciel ouvert. Que de projets ont été entamés et interrompus sans raison valable. Des routes impraticables ou en chantier depuis plusieurs années, provoquent des accidents mortels, sans que cela soulève la moindre fibre de conscience professionnelle ou de devoir de citoyenneté, chez tous ceux qui se sont succédé aux commandes des Communes depuis plusieurs mandats.
Dire que la région des doukkalas constitue l’une des plus riches régions du Royaume et constater que sa capitale souffre d’une insuffisance de l’infrastructure de base, est le constat le plus regrettable.
La ville a entamé, hélas, sa descente aux enfers depuis des décennies. Du Deauville marocain il ne reste plus que la ville fantôme, celle qu’on a dépouillé de son patrimoine et de sa mémoire.
Khadija Choukaili