
Par :Abdelmajid CHOUKAÏLI
LE THÉÂTRE, CINÉMA DE PARIS
Ce haut lieu de la culture jdidie est aujourd’hui disparu. Il était situé sur la place El Hansali (Ex place Brudo), sur le flan Nord de l’immeuble Cohen, construit en 1915. Edifié lui-même au tout début de 1920, à la place d’un Casino et de la Brasserie «Le Nègre», le Cinéma de Paris d’El Jadida (qu’on s’empressa de désigner par Paris-Cinéma), va porter la fière enseigne de Théâtre-Cinéma au début de l’année 1923, juste avant le lancement des travaux du théâtre municipal de Casablanca. Les troupes théâtrales et les concerts qui venaient se produire à Casablanca, faisaient des représentations dans cet établissement artistique d’El Jadida, parfois même avant Casablanca.
En plus de la projection des films tout frais sortis en France, il avait accueilli de nombreuses conférences. On peut citer parmi elles, celle qui avait été donnée au mois de mai 1925 par M Félix Ronserail sur «les légendes, les coutumes, les contes et les galéjades des provinces méridionales de France», dont il est l’auteur du livre qui les relate. Cette conférence était «illustrée par des films et de pittoresques projections lumineuses» (Revue France-Maroc du mois de mai 1925 – neuvième année N°102).
D’après l’«Annuaire de la société des auteurs et compositeurs dramatiques», Mazagan avait accueilli entre 1920 et 1925, pas moins de 45 représentations théâtrales : 5 en 1920-21 ; 16 en 1921-22 ; 3 en 1922-23 ; 7 en 1923-24 ; 14 en 1924-25. Jean Vilar le fondateur en 1947 du festival d’Avignon et directeur à partir de 1951 du fameux Théâtre National Populaire (TNP), avait visité le théâtre de Mazagan. Toutes les grandes vedettes du théâtre, du cinéma et du music hall français, de Jean Cocteau à Gérard Philippe, de Maurice Chevalier à Jean Marais, y ont fait des apparitions. Le film américain Morocco sorti en 1930 avec Gary Cooper et Marlene Dietrich – qui a pour arrière-plan la guerre du Rif, le film Casablanca avec Humphrey Bogart et ingid Bergman sorti en 1942 et le film Othello d’Orson Wells, Grand Prix du festival de Cannes de 1952, tourné partiellement à Mazagan, avaient attiré de nombreuses vedettes américaines au Maroc, dont la destination culturelle, touristique et de loisirs était Mazagan, où elles séjournaient dans le luxueux hôtel Marhaba.

(Carte postale, Edition Félix de Marrakech 1921)


Le Paris-Cinéma d’El Jadida disparaîtra définitivement en 2011, à l’instar de l’écrasante majorité des salles de cinéma du Royaume, engloutis par la nouvelle technique de projection privée, la vidéo.
LA SALLE MUNICIPALE DES FÊTES DE MAZAGAN
La salle des fêtes de Mazagan avait vu le jour grâce aux efforts louables de Louis Ribes, chef des services municipaux de Mazagan et de son supérieur le Dr Frédéric Weisgerber, Contrôleur Civil de la Circonscription des Doukkala de 1917 à 1926. Il était médecin et avait été appelé en 1897 par le Grand Vizir Ba H’mad, au chevet du Sultan Moulay Abdelaziz, en campagne militaire dans la Chaouia. Il avait été également un proche collaborateur du Résident Général Hubert Lyautey. La construction d’une «salle des fête» à Mazagan avait été retenue, avec l’accord enthousiaste du Général Lyautey lui-même pour cet édifice, éminemment culturel. Amédée Hippolyte Delaporte, architecte, prix de Rome de 1901, auteur du tout-nouveau projet du Théâtre Municipal de Casablanca, inauguré au début de 1923 ; fut immédiatement chargé de l’établissement dans la foulée, la même année, du projet de Mazagan. Devant être un véritable monument architectural et artistique, le projet de Mazagan avait consisté en une salle de fêtes, construite sur une superficie de 900 mètres carrés pour accueillir 1.500 personnes. Elle fut transformée en salle de théâtre de 668 places assises et 11 loges réservées aux personnalités de marque. Ce théâtre peut aujourd’hui être considéré comme un rescapé de cette période, après la démolition du Casino de Mazagan en 1957, la transformation des trois cinémas Taj (Rif), Cinéma-Paris et Marhaba, en galeries commerciales ; et la démolition du Théâtre Municipal de Casablanca en 1984.
Les travaux de construction de la salle des fêtes de Mazagan, avaient été confiés à l’Etablissement Général des Travaux SCWARTZ HAUTMONT, qui venait d’installer son siège à Casablanca en 1921. Ces travaux avaient commencé le 1er Juin 1923 et avaient duré six mois environ, sous le contrôle de l’architecte Amédée Delaporte lui-même (Revue France-Maroc, Octobre 1923 – septième année, N°83, p.198).
DESCRIPTION
Les murs porteurs périphériques – sans piliers en béton armé – construits en pierres de taille (grès calcaire) à la base et aux coins, et en agglomérés de ciment formant une double paroi. La toiture est soutenue par une charpente métallique.

page 236 : «Vie au Maroc», article sur l’inauguration de la salle à Mazagan

L’architecture externe n’a connu aucune modification, depuis la construction de la salle en 1923. La façade principale possède trois portes à volets pour l’accès du public, au-dessus desquelles s’ouvrent trois fenêtres balcons de la grande salle (Foyer ou salle de musique). Seul l’enseigne du monument a changé. A sa construction elle indiquait «Salle municipale des fêtes», jusqu’en1940 où on l’avait dénommée «Salle municipale L. Ribes», en hommage à l’ancien chef des services municipaux de Mazagan, qui avait milité pour que son projet se réalisât. Elle fut remplacée par «Théâtre municipal البلدي المسرح « en 1957, pour finalement porter le nom du grand dramaturge Jdidi Saïd Afifi, après son décès en 2009.

Sous l’ossature métallique du toit, se trouvait un faux plafond décoratif, occupé à son centre par une grande coupole, à laquelle un grand lustre en fer forgé était accroché. Au début, ce lustre était équipé de lampes d’éclairage au gaz, car la ville de Mazagan n’a été reliée au réseau électrique public qu’en 1925. De grandes fenêtres, situées sur les deux façades latérales, diffusaient la lumière du jour à l’intérieur de la salle. Les spectateurs s’y installaient suivant leur classe sociale : l’élite dans les loges du balcon – dont celle du milieu était réservée aux hautes personnalités ; l’ensemble communiquant avec le grand foyer donnant sur la place principale de Mazagan (Salle de musique). Les loges latérales étaient réservées à la classe intermédiaire, dont l’accès se faisait par les portes des façades latérales ; et enfin, le parterre était pour la classe populaire.
La salle Municipale des fêtes dispose également d’espaces pour recevoir les spectateurs avant la représentation et pendant les entr’actes. A partir de 1925, le branchement de la Salle des fêtes au réseau électrique, avait rendu le recours à la lumière du jour par les fenêtres latérales superflu. Il a ainsi permis d’apporter plusieurs modifications internes : deux cloisons furent construites à la place des loges latérales, isolant l’intérieur de la salle des bruits provenant de l’extérieur. Le plafond avec sa grande coupole et son grand lustre, furent remplacés par un plafond concave où des lampes électriques encastrées, sont disposées de manière à donner un éclairage diffus, mieux approprié.

La scène de la salle municipale des fêtes La scène a une ouverture de chœur de huit mètres environ, profonde de six mètres et haute de sept mètres. La fosse de l’orchestre est aménagée devant la 7 scène. Dans les coulisses se trouvent, côté cour les bureaux de l’administration – dont l’accès de l’extérieur se fait par une petite porte faisant face à la délégation des Travaux Publics – et côté jardin, la régie (chargée de la sonorisation, de l’éclairage et de la manipulation des rideaux) ; ainsi que des loges sur deux niveaux, réservées aux acteurs.
Derrière les rideaux du fond, une passerelle communique avec la grande salle de «dépôt des décors», dont la grande porte est ouverte dans la façade latérale droite (rue Lahlali). C’est par elle que les troupes théâtrales en tournée, font facilement et directement passer les décors de leurs spectacles, à l’intérieur du théâtre.
INAUGURATION
La cérémonie solennelle d’inauguration de la salle municipale des fêtes d’El Jadida, eût lieu le 29 décembre 1923. Elle fut présidée par le Secrétaire général du Protectorat M. Monzon, en présence de l’architecte Amédée Delaporte, du Contrôleur Civil de la circonscription des Doukkala Frédéric Weisgerber, du chef des services municipaux Louis Ribes, du Pacha Ben Douiou El Kasmi et d’autres personnalités. Des allocutions furent prononcées et des congratulations furent échangées, dans la grande salle du foyer de cet exceptionnel monument. Le développement économique et touristique de la ville fut abondamment commenté (Revue mensuelle illustrée France-Maroc, Décembre 1923 – Septième année, N°85).
PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS ET CÉRÉMONIES
Au mois de Janvier 1924, la Croix Rouge avait organisé son premier bal dans la Salle Municipale des Fêtes de Mazagan. (Revue France-Maroc, Janvier 1924 – huitième année n°86, p. 13).
Au mois de Juillet 1925, la Municipalité de Mazagan y avait organisé la cérémonie de distribution des prix aux élèves, à l’occasion de la fin de l’année scolaire 1924-1925. (Revue France-Maroc, Juillet 1925 – neuvième année n°104, p.140).
OUVERTURE DES PLANCHES AUX ACTEURS MAZAGANAIS
Jouer sur scène était interdit aux artistes marocains, sous le Protectorat. C’est seulement en 1946, qu’une troupe de jeunes acteurs mazaganais marocains de théâtre, avait été enfin autorisée à fouler, pour la première fois, les planches du théâtre de leur ville. En cette année-là, Driss Lemsefer avait mis en scène la pièce de théâtre intitulée « l’assassinat d’el Amine » fils de Haroun Errachid – «األمين مصرع – «et l’avait jouée avec de jeunes acteurs, véritables pionniers du théâtre marocain, dont Driss Lemsefer nous avait rappelé, avec émotion, les noms : Ahmed Serghini, Mohamed ben Hamou Elgoumi, Abdelwahhab Aamor, 8 El Ghali El Iraqui et Abderrahmane Ben Touila. Driss Lemsefer, fondateur de l’école libre d’El Jadida « الحرة المدرسة , » fut par la suite, jusqu’à sa mort, Président de l’association de la musique andalouse de Casablanca, et son fils Mahmoud, est l’organisateur de plusieurs manifestations artistiques, notamment musicales.
L’année suivante, la Reine Esther, pièce de Jean Racine, fut présentée par une troupe de jeunes juifs Mazaganais, à l’occasion de la fête de Pourim du 6 Mars 1947

LES ANNÉES FLORISSANTES DU THÉÂTRE MAROCAIN :
1960-1970 Arous Achaouâtië )طىئَالشوا عروس ,) Ennahda )النهضة )étaient deux troupes théâtrales d’El Jadida, affilées au Ministère de la Jeunesse et des Sports, parmi tant d’autres, qui animaient des spectacles avec des représentations de pièces de théâtre de grande qualité. Leurs acteurs étaient de véritables professionnels, dignes des meilleurs conservatoires. Que les Jdidis rendent un grand hommage à Abdelmjid Nejdi, à Bouasria, à feu Abdelfattah Lahlali, et aux nombreux autres acteurs qui ont porté très haut le flambeau du théâtre Jdidi en particulier et Marocain en général.
1969 – 1975 : FEU MOHAMED SAÏD AFIFI
Grand artiste et dramaturge, feu Mohamed Saïd Afifi s’était attaché à équiper le théâtre de systèmes modernes d’éclairage et de son et de former une troupe professionnelle du Théâtre Municipal d’El Jadida. Nous nous rappelons tous, de sa pièce théâtrale «Essaouanih» (السوانح ,(passée à la télévision. Il avait fait avec elle une tournée dans quelques villes du Royaume. Son scénario avait été inspiré 9 du diwane poétique de feu Driss El Jayi. Deux des acteurs, avec qui il jouait lui même, étaient Si Mohamed Ben Brahim et Si Mohamed Derhem.
LE THÉÂTRE D’EL JADIDA, ESPACE POLYVALENT
Aucun Jdidi des années qui avaient suivi l’indépendance du Maroc, ne peut oublier la sirène à turbine, qui était installée sur le toit du Théâtre Municipal. Ses stridences, qui ont fini par leur être paradoxalement douces, ponctuaient tous les grands événements de la ville : l’avènement des fêtes et, pendant le mois de Ramadan, les heures d’entrée en abstinence (Fejr) et de rupture du jeûne (Maghrib).
Le grand foyer du théâtre, qui était aussi son auditorium, était très souvent exploité en salle d’exposition des produits de l’artisanat local et national ; ainsi qu’en galerie d’exposition des tableaux d’art plastique. Par ailleurs, malgré les efforts de plusieurs Jdidis, appuyés par feu Abdelwahhab Agoumi, Directeur du Conservatoire National de Musique, le projet de création d’un conservatoire de musique à El Jadida, n’avait pas abouti.
Nous passons volontairement sous silence les meetings organisés dans ce monument par les leaders les plus en vue des partis politiques ; mais nous soulignons volontiers, les grandes conférences organisées lors de festivals culturels annuels prestigieux, notamment pendant les années 1980. Nous n’oublierons particulièrement pas, les prises de parole et les conférences des grands intellectuels Jdidis, qui avaient porté haut l’oriflamme de la Culture et de la Science, que les universitaires et les chercheurs du monde entier, tiennent en haute estime. Nous citerons parmi eux Abdelkbir Khatibi, Abderrahman Addoukkali (Fils d’Abou Chouaïb Addoukkali), Mohammed Benchrifa, Driss Chraïbi, à côté d’autres venus de Rabat et de Fès, tels qu’El Mekki Naciri, Mohammed El Fassi, Abdelhadi Tazi et tant d’autres.
Driss Lemseffer avait composé le scénario de la pièce « األمين مصرع) « l’assassinat d’al Amine, fils de Haroun ar Rachid) au milieu des années 1940. Il l’avait jouée en 1946 sur la scène du Théâtre Municipal de Mazagan, avec des pionniers mazaganais du théâtre marocain moderne : Ahmed Serghini, Mohammed ben Hammou el Goumi, Abdelwahhab Amor, el Ghali el Iraqui etAbderrahmane Ben Touila