Chronique de Mustapha Jmahri : René Bouganim, une conscience de la médecine

René (Aharon) Bouganim, ancien médecin à El Jadida, des années de 1956 à 1975, était une personnalité connue du paysage social et médical dEl Jadida. Décédé le dimanche 21 avril 2019 à l’hôpital d’Aix-en-Provence en France, à l’âge de 89 ans, ce Marocain de confession juive, avait rendu des services méritoires à la population des Doukkala.
Jai vu plusieurs fois le docteur René Bouganim dans les années soixante alors que je n’avais qu’une douzaine d’années. Je ne lai pas vu en auscultation en tant que malade mais simplement quand il entrait ou sortait de chez lui. Sa villa était une des premières dans l’avenue principale du quartier du Plateau. J’empruntais quotidiennement cette avenue pour aller à mon école et je le rencontrais généralement après le déjeuner alors qu’il revenait de son cabinet sis dans la rue Lescoul en centre-ville. Je rencontrais également son épouse, Solange, femme très fine et très élégante, actrice principale dans la troupe de théâtre dAndré Adigard.
Le docteur Bouganim né à Marrakech était l’aîné dune famille originaire d’Essaouira. Ses parents Yoseph Bouganim et Hannah étaient natifs d’Essaouira comme d’ailleurs ses grands-parents. Plus tard, sa famille a déménagé à Casablanca.
Sur le plan professionnel, le Dr Bouganim commença à exercer la médecine vers 1956 : d’abord à El Jadida, puis à l’hôpital de Sidi Bennour où il était, tout à la fois, médecin, pharmacien et responsable de l’hygiène. Il sera nommé, par la suite, médecin-chef de l’hôpital de Marrakech avant de s’installer, dans le privé, à El Jadida.
Quand vint le temps où les docteurs Verdier, Lauzié et bien d’autres médecins partirent successivement vers d’autres cieux, le Dr Bouganim quitta le Maroc pour la France en 1975. Il avait deux enfants : sa fille Anouck (Hannah) et son fils Philippe (Joseph). Je ne devais entendre parler de lui que plus tard. Un ami fonctionnaire, en congé à Aix-en-Provence et voulant prolonger ses vacances, eut la surprise de se retrouver dans le nouveau cabinet du Dr Bouganim qui lui délivra sans hésiter le certificat médical désiré.
Quelques décennies plus tard, lors de la préparation de mon livre « Médecines et médecins à El Jadida » paru en 2015, jai pu dénicher les coordonnées du Dr Bouganim qui avait alors déjà cessé d’exercer. Sa femme a pu évoquer leur vie à El Jadida et son expérience théâtrale. Je me suis également entretenu avec leur fille Anouk, ex-pharmacienne, qui était en classe à l’école primaire Charcot avec le romancier Fouad Laroui.
Après sa retraite, il y a plus dune vingtaine d’années, le docteur vivait, avec sa petite famille, dans la commune de Peynier près d’Aix-en-Provence. Il était fier de ses origines marocaines, comme en témoigne sa fille Anouck. Cette dernière affirme d’ailleurs que : « Le Dr Bouganim évoquait toujours avec autant de nostalgie notre beau Maroc, nos amis et la vie que nous y menions. Sentimentalement, il était très attaché au Maroc qui lui manquait ».
Au niveau professionnel il était respecté et, à ce titre, jai reçu le témoignage suivant d’un ancien de Mazagan que le Dr Bouganim a sauvé dune mort certaine. Il s’agit de Patrick Péchin, né au Maroc en 1948, qui arriva avec sa famille à El Jadida où son père fut nommé directeur du Crédit Foncier d’Algérie et de Tunisie qui deviendra la Banque Marocaine du Commerce Extérieur (BMCE). La famille habitait au dessus de la banque dont le siège se trouvait en face de la chambre de commerce et d’industrie. À l’âge de onze ans, Patrick fut victime dune erreur médicale : il attrapa une grave maladie en se rendant à l’hôpital dEl Jadida. René Bouganim, un des clients de son père, venait le soigner à la maison. Il raconte : « Lorsque je suis tombé malade en 1960, jai failli mourir à cause dune aiguille mal désinfectée utilisée dans l’hôpital régional dEl Jadida dirigé alors par le docteur Antoine Carbou. J’avais 11 ans et j’étais en sixième au collège de Mazagan, aujourdhui lycée ibn Khaldoun. J’éprouve un immense respect envers le docteur Bouganim qui, guidé par sa profonde humanité, avait ressenti comme une terrible injustice la perte dune vie qui nen était quà ses débuts et il en avait littéralement fait une affaire personnelle. Il vint me voir tous les jours pendant six mois.  Je suis resté allongé et, n’ayant plus de fonction hépatique, je ne pouvais m’empêcher de me gratter si bien que j’étais couvert de plaies. Un supplice. Il se tenait en permanence informé des avancées scientifiques concernant cette maladie, qui je le rappelle était une hépatite C qui pouvait être mortelle à l’époque. Je ne me souviens plus vraiment des médicaments que me prescrivait le docteur Bouganim mais il passait chaque jour et était, de son propre aveu, totalement ignorant des remèdes à utiliser pour soigner cette maladie. Il pansait surtout mes plaies pour quelles ne s’infectent pas. Mais à l’époque, aucun traitement ne permettait de combattre ce mal. Lorsqu’il est venu annoncer à mes parents, la sortie du médicament américain, le Décadron, il ne me restait, à ses dires, qu’une quinzaine de jours à vivre ! Ça, je ne l’ai jamais oublié. Ainsi, ce qui faisait la valeur de l’intervention du Dr Bouganim, outre les soins quotidiens, c’était sa surveillance assidue des progrès alors recherchés dans la lutte contre cette maladie qui a fait qu’in extremis, il a pu utiliser ce médicament américain qui venait juste de sortir ! ».
Sauvé d’une mort certaine, Patrick pu reprendre ses activités scolaires et sportives grâce aux bons soins du Dr Bouganim.
jmahrim@yahoo.fr

Légende photo : le docteur René Bouganim avec son épouse Solange Bouganim

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