Par M’barek Bidaki
Dans le cadre de ses activités scientifiques, les Archives du Maroc ont organisé le vendredi 3 mars 2023, à leur siège de Rabat, une table ronde sur le thème : «Quel rôle pour les archives locales dans l’écriture de la mémoire des villes ?». Lors de cette rencontre publique et inédite cinq expériences de recherches locales ont été présentées dans le but de faire connaître le travail de chercheurs marocains au cours des dernières décennies et ce, en leur permettant de présenter leurs différentes approches des archives locales (administratives ou familiales). En cette occasion, cinq expériences ont été présentées : celles de Mustapha Jmahri (El Jadida), Ahmed Laayouni (Ben Ahmed), Habib Daim Rabbi (Sidi Bennour), Abdellatif Aouam (Azemmour) et Omar Lakhdar (Essaouira).
Au début de cette rencontre, le professeur Jamaâ Baida, Directeur des Archives du Maroc, a ouvert la séance en remerciant les participants venus partager leurs expériences et leurs parcours avec d’autres chercheurs et spécialistes des archives. Il a aussi mis l’accent sur l’importance des archives, notamment locales, dans le processus de formation de l’histoire nationale et de son enrichissement. S’agissant des archives privées, le professeur Baida a indiqué que le don d’archives était toujours le bienvenu aux Archives du Maroc qui, depuis leur création, en ont bénéficié. Ces trésors d’archives, a-t-il rappelé, sont traités selon des procédés scientifiques par des spécialistes avant d’être mis à la disposition des chercheurs et étudiants dans la salle de lecture.
Le professeur Baida a aussi abordé l’importance des archives dans l’appréhension du passé national, lui-même en perpétuel renouvellement, via l’apport de nouveaux éléments, mis au jour de temps à autre.
Pour sa part, l’écrivain Habib Daim Rabbi a remercié le professeur Baida pour avoir apporté toute l’aide nécessaire à cette rencontre inédite, venant jeter la lumière sur un sujet d’une importance capitale pour la sauvegarde de la mémoire collective. Il présenta ensuite les circonstances de l’écriture de deux ouvrages qu’il a réalisé sur Sidi Bennour, sa ville natale, et sur les écrivains et artistes des Doukkala, tout en précisant les difficultés rencontrées en matière d’archives locales administratives. C’est dire, précise t-il, combien la tache se révèle difficile devant l’insuffisance de ce genre d’archives et l’indifférence constatée à y remédier.
Prenant à son tour la parole, Mustapha Jmahri, auteur-éditeur des Cahiers d’El Jadida, a donné un aperçu de son travail depuis une trentaine d’années, puisque commencé en 1993. Il a ensuite mis en exergue les aspects positifs des recherches sur le local en matière de cumul de connaissances sur des faits historiques locaux et nationaux. De sa propre expérience, Mustapha Jmahri a souligné les difficultés à accéder aux archives locales de certaines administrations, trouvant par contre, une aide, quoique limitée, de la part d’anciens Mazaganais d’origine étrangère qui ont bien voulu lui transmettre des documents écrits ou iconographiques.
Le chercheur Abdellatif Aouam, travaillant sur la cité d’Azemmour, insista, lors de son intervention, sur le fait que plusieurs aspects de l’histoire de sa ville et de son environnement, n’ont jamais été abordés faute de chercheurs, d’archives et de moyens financiers, raison pour laquelle, dit-il, ce genre de recherche manque de bénévoles et de volontaires. Seuls certains mordus s’y attèlent, défiant les obstacles et les difficultés. Il a également évoqué l’échec cuisant de ses tentatives menées localement pour consulter des archives locales au niveau de sa cité. Il nota aussi que, malgré l’existence de plusieurs zaouïas à Azemmour, malheureusement leurs archives ne sont pas encore accessibles aux chercheurs.
Ahmed Layouni (chercheur sur l’histoire de Ben Ahmed) a indiqué que lors de son travail devant mener à la publication de deux livres sur la région de Ben Ahmed-Mzab, il a fait les démarches habituelles auprès des administrations locales et provinciales pour accéder aux archives des années du protectorat, mais sa demande resta sans réponse. C’est ce qui l’a poussé à contacter la Direction des Archives du Maroc à Rabat, ce qui lui a permis de prendre connaissance de documents en leur possession sur le sujet. Pour le reste, précise t-il, il a reçu un nombre important de pièces d’archives sur sa cité du temps du Protectorat, émanant du Centre des archives diplomatiques à Nantes. Une bénévole française l’a ainsi aidé à obtenir ces documents qui ont fait l’objet de son live paru au Maroc.
Omar Lakhdar, historien d’Essaouira, a précisé qu’il est, de formation, ingénieur cartographe et que c’est son amour pour sa cité, Essaouira, qui l’a mené à publier une série de livres sur son histoire ainsi que des personnalités qui l’ont émaillée. Ces recherches, effectuées par ses propres moyens, l’ont mené en France ainsi qu’à Rome et dans d’autres centres archivistiques. Il a également indiqué que parfois, malgré la disponibilité de documents d’archives, ces derniers ne sont pas mis à contribution. Sur ce dernier point il donna l’exemple des confusions dans l’étymologie de l’appellation de la ville Souira-Mogador.
A ce sujet, il rappela que le Sultan Sidi Mohammed ben Abdallah construisit, au XVIIIème siècle, la ville de Souira, mot désignant le diminutif féminin du mot « sour », rempart, prononcé actuellement avec emphase, (avec la lettre arabe « Sad » et non avec la lettre arabe « Sin »), ce qui lui donna une autre signification : la « joliette » ou « image ». Sur plusieurs dahirs ou actes anciens ou pièces de monnaie, Souira s’écrit avec la lettre arabe « Sin ». De même sur quelques bombardes fondues au temps de ce Souverain, et se trouvant actuellement aux portes de la ville, on peut lire Souira avec son orthographe exacte. Enfin, une circulaire d’un Grand Vizir, du temps du Protectorat, avait rectifié cette erreur et prescrivait, aux fonctionnaires du Makhzen, l’emploi de la première orthographe. Mais l’orthographe erronée, s’étant cristallisée dans les esprits, avait fini par prendre le dessus. Omar Lakhdar conclut que la ville d’Essaouira garde depuis des décennies, et dans l’indifférence totale, son appellation égratignée.
A la fin de la rencontre une longue discussion s’est engagée entre les intervenants et l’assistance sur le problème des archives en général et des archives locales en particulier, délaissées, dans la majorité des cas, dans des sous-sols humides et fermés au public. L’assistance a également proposé que l’expérience de cette table ronde se poursuive, si possible, sous la forme d’un colloque qui pourrait être tenu dans l’une de nos universités.