L’Association des Doukkala a organisé samedi 21 juin 2025 à la Fondation Abdelouahed El Kadiri à El Jadida une rencontre-hommage à l’écrivain Mustapha Jmahri sous le thème : « Les cahiers d’El Jadida pour une mémoire collective ». Le programme de cet événement débuta par la diffusion sur écran de témoignages filmés de quelques chercheurs marocains et étrangers qui s’expriment sur le travail effectué par cet auteur, suivie d’une table ronde avec quatre interventions de Nouzha Skalli, ancienne parlementaire et ministre, Soumaya Naamane Guessous, consultante internationale, Hana Chérigui, professeure de sociologie à l’université Chouaib Doukkali et Olivier Revol, représentant du président de l’Amicale des anciens de Mazagan. La rencontre était modérée par le professeur Abdelouahed Mabrour, ancien doyen de la faculté des lettres d’El Jadida.
Ci-après le mot présenté par Olivier Revole en cette occasion :
Mesdames, Messieurs,
L’honneur de représenter le Président et les membres de l’Amicale des anciens de Mazagan et de sa région m’ayant été proposé, me voilà aujourd’hui devant vous, pour rendre, au nom de notre président et tous nos membres, un vibrant et mérité hommage à notre ami Mustapha.
Je tiens à remercier vivement l’association des Doukkala, et à sa tête M. Abdelkrim Bencherki, d’avoir initié cette célébration, qui se tient, qui plus est, dans notre si belle ville natale !!!!!
Votre présence ici, chaleureuse et attentive, témoigne non seulement de l’attachement profond que vous portez à l’histoire d’El Jadida, mais aussi de votre reconnaissance envers celles et ceux qui, avec modestie et dévouement, préservent notre mémoire collective.
C’est dans cet esprit de gratitude et de reconnaissance partagée que je souhaite vous livrer ces quelques mots en hommage à Mustapha Jmahri – journaliste, chercheur, écrivain, mais surtout passeur de mémoire.
El Jadida, ex Mazagan, la petite ville blanche devant la mer, comme l’a dénommée mon frère François dans son livre « l’eau claire des séguias », a été, et reste pour nous tous un lieu magique de tranches de vie mêlées et de destins croisés avec comme toile de fond un dénominateur commun : un espace de partage, une mosaïque d’identités sociales, culturelles, religieuses qui a marqué à jamais ses acteurs, déposés là par le sens de l’histoire.
Dans les méandres de cette histoire locale, entre les pages oubliées des archives et les voix effacées du passé, se lève parfois une figure qui, avec patience et persévérance, choisit de raconter ce que souvent d’autres ont laissé s’effacer. Mustapha Jmahri, journaliste, chercheur et écrivain, est de ces artisans rares qui œuvrent, loin des projecteurs, à restaurer une mémoire plurielle – celle d’une ville, El Jadida, ancienne Mazagan, et de ses multiples composantes humaines.
Son engagement dans cette entreprise de mémoire et de transmission répond à un besoin fondamental : celui de combler le vide laissé par le manque d’écrits récents sur El Jadida. Son regard attentif, sa rigueur et sa sensibilité ont permis de documenter des récits souvent oubliés, de redonner vie à des parcours croisés, et de faire émerger la richesse humaine et culturelle de cette ville à l’histoire diverse.
Mustapha, ta formation en journalisme t’a donné certes les outils nécessaires pour enquêter, interroger, écrire — mais c’est ta passion pour El Jadida et ton sens de la responsabilité culturelle qui ont donné à tes travaux toute leur profondeur.
En cela, l’influence bienveillante de deux figures marquantes mérite d’être soulignée : le sociologue Abdelkébir Khatibi, grand penseur jdidi, qui a su encourager tes premiers pas, et Nelcya Delanoë, issue d’une famille de Mazagan, dont l’accompagnement a été déterminant dans l’élaboration de tes premiers écrits.
Grâce à ta démarche, c’est donc tout un pan de l’histoire sociale et humaine d’El Jadida qui se trouve aujourd’hui sauvegardé, valorisé et transmis. Il offre ainsi aux générations actuelles et futures une mémoire vivante, un récit ancré dans la complexité, la coexistence et l’hospitalité.
À travers ses enquêtes et ses livres, (26 ouvrages constituent « les cahiers d’El Jadida », sans compter les recueils de nouvelles ou le récit scolaire et d’internat + 4 œuvres éditées en France …) Mustapha Jmahri ne se contente pas de raconter : il honore, relie, et sauvegarde. Son travail est un pont entre les mémoires, un rempart contre l’oubli, une déclaration d’amour à cette ville-monde qu’est El Jadida. En rendant hommage aux différentes communautés, il célèbre en réalité la richesse de la rencontre, la profondeur des racines croisées, et la beauté d’un patrimoine commun. A travers les témoignages recueillis, chacun d’entre nous se reconnait ainsi enfant de Mazagan-El Jadida.
Permettez-moi d’évoquer deux ouvrages particuliers : les agriculteurs en Doukkala et Rencontres franco-marocaines.
C’est ainsi qu’avec Les agriculteurs étrangers en Doukkala, Mustapha explore une autre dimension de cette mémoire : celle de ces hommes et de ces femmes, issus d’horizons pluriels, qui ont travaillé la terre marocaine, cohabité avec les communautés locales, participé à l’économie et à la vie sociale. Il redonne une visibilité à ces trajectoires mêlées, souvent oubliées, et fait réapparaître une mémoire agricole, sociale et humaine si particulière.
Dans Rencontres franco-marocaines, il s’attarde sur des personnalités et des familles qui ont marqué de leur empreinte l’histoire de la ville : je citerai la famille Delanoë, Jean-Louis Morel, et tant d’autres. Ces noms sont bien plus que des figures : ils représentent une histoire partagée, des récits d’enracinement, des ponts humains entre deux mondes. Mutapha rend à chacun sa place dans l’histoire de Mazagan – non comme étrangers de passage, mais comme acteurs d’une mémoire commune.
En fait, ce qui caractérise profondément le travail de Mustapha Jmahri, c’est aussi sa capacité à concilier le local, le national et l’universel. Lorsqu’il découvre, par exemple, que Saint-Exupéry a visité la kasbah de Boulaouane en 1927, passant par El Jadida, et que cette visite a inspiré son œuvre posthume Citadelle, il ne se contente pas de relater un fait. Il éclaire également un épisode oublié de l’histoire mondiale à travers un détour par Doukkala, et rappelle que même certaines grandes figures de la littérature mondiale ont croisé ces chemins marocains. Son livre consacré à cette visite est une œuvre de transmission essentielle.
Mustapha Jmahri est, vous l’aurez compris, bien plus qu’un chercheur ou qu’un journaliste : il est un archiviste des liens, un bâtisseur de passerelles entre les cultures. Son travail est profondément humaniste, traversé par une éthique du respect et du dialogue. Il nous rappelle que l’histoire ne se construit pas en effaçant les traces, mais en les reconnaissant, en les reliant, en les transmettant et en rendant hommage à tous ses acteurs.
À travers ses nombreux ouvrages, ses enquêtes, ses articles, il contribue à sauvegarder une mémoire universelle qui, sans lui, risquerait de s’éteindre.
Grâce à lui, la ville d’El Jadida n’est pas seulement un lieu, mais plutôt un récit, un espace de partage entre les héritages.
Cet hommage à Mustapha est aussi une invitation : celle qui consiste à persévérer et continuer de raconter les histoires oubliées, à entretenir la flamme de la mémoire, et à faire vivre le dialogue entre les peuples, à travers les souvenirs, les mots, et les traces du passé.
Un immense Merci donc à toi, Mustapha, pour ta contribution exceptionnelle dédiée au rayonnement de notre ville, en espérant vivement que tu ne t’arrêteras pas en si bon chemin !!! Nous tenons à t’adresser toute notre reconnaissance pour la qualité et la profondeur de tes travaux consacrés aux habitants cosmopolites de la ville d’El Jadida et de sa région.
Je terminerai par un dernier message :
Enfin, à l’heure où, hélas, le Monde continue encore à s’embraser, au nom de tous ceux que j’ai le plaisir et l’honneur de représenter ici, toutes générations confondues, je tiens à remercier très chaleureusement nos camarades marocains, de toutes confessions, et leurs familles qui ont su nous accueillir sur leur terre, dans des conditions parfois difficiles pour eux.
Leur sens de la relation humaine, baignée d’une culture du partage, nous a permis de tisser à jamais avec eux cette mémoire commune qui a fait que chacun d’entre nous éprouve cette nostalgie tenace en évoquant l’heureux temps passé tous ensemble dans la petite ville blanche devant la mer, particularité qui nous définira à jamais comme de véritables Doukkali !
Olivier REVOLE – El Jadida le 21 juin 2025