Chronique de Mustapha Jmahri : Haj Serbati raconte Le centre-ville d’El-Jadida

Haj Mohammed Serbati naquit à El Jadida en 1944 et fut embauché le 12 octobre 1961 par l’Office National des Irrigations (ONI) à l’âge de 17 ans. Il prit sa retraite en 2005 après plus de quarante ans de bons et loyaux services.
Haj Serbati est une mémoire vivante de la ville d’El Jadida et notamment du centre-ville et de l’avenue Hassan II (ancienne rue Richard d’Ivry) qui donne vers la place centrale Mohammed V, autrefois place Lyautey. Car c’est dans cette avenue que son père possédait un magasin de vente de céréales. Souvent, il allait voir son père et, de jour en jour, il finit par faire connaissance avec tous ses voisins des deux côtés : les Tasso, propriétaires de la boulangerie portant leur nom, Moréno réparateur de radio et télévision, Allal Amara le libraire, Marcos El Baz le tailleur, madame Lucienne Racat directrice de l’école de dactylographie, la famille Alessi, la famille Abitbol, le pharmacien Jean Mainetti, le pharmacien italien Ingàrao, le médecin grec Dimitri Argyratos, les Arméniens et le maâlem menuisier Haj Hassan Sarih. Il y a aussi l’immeuble des Habous qui a été reconstruit dans les années 80. Dans l’impasse, au milieu de la ruelle qui donne sur la rue Jules Verne, se trouve la zaouïa Kettania. Ensuite, en se dirigeant vers le marché central se trouvait le boulanger Boyer. Là, on pouvait acheter, dit Haj Serbati, la baguette du kilo que les Marocains appelaient koumirat el-kilo, alors que les Européens la dénommaient « pain espagnol ».
Dans les années 1950, cette avenue cosmopolite résumait, en son temps, tout El Jadida car elle reliait les quartiers de la ville : le Plateau avec la place Hansali et el-Kelaâ avec derb Daya. En plus, c’était une avenue animée qui englobait différents commerces. En1954-55, cette avenue fut le théâtre d’un drame. Haj Serbati avait alors une dizaine d’années quand, du magasin de son père, il entendit, de l’autre côté de l’avenue, une détonation provenant de la villa du docteur Verdier. Après le départ de ce médecin, sa demeure fut occupée par un Français qui était le propriétaire ou le gérant du cinéma Métropole appelé par la suite cinéma Rif sis au centre-ville. Ce Français, pour une raison inconnue, se suicida chez lui en se tirant un coup de revolver dans la tête.


En haut de l’avenue Hassan II, dans la rue Pasteur se trouve toujours l’ancien hôpital régional Mohammed V. Dans cet établissement exerçait une dizaine de religieuses infirmières que les Marocains appelaient massourate (mes sœurs). Elles habitèrent d’abord au sein de l’hôpital mais, après quelques années, elles déménagèrent au quartier du Plateau. Pour se déplacer, elles roulaient dans une voiture Renault4 qui appartenait à l’infirmière-major. Haj Serbati précise : « En 1981, ayant fait leur connaissance, à travers mon épouse infirmière dans le même établissement, la major m’avait vendu la voiture qui, somme toute, était bien entretenue. La vente fut conclue sur la base de la somme nette de 6 000 dirhams. Mais au moment de la signature du compromis, elles eurent un geste amical envers moi et limitèrent le montant à régler à 5 500 dirhams. Plus que ca, elles m’autorisèrent à utiliser leur garage pour la voiture dans l’attente de me débrouiller ». En janvier 1982, à la fin de leur contrat, les religieuses infirmières quittèrent l’hôpital pour la dernière fois. Mais la major regagna Casablanca où elle se mit au service du docteur Abdelkader El-Filali qui avait quitté le même hôpital pour ouvrir un cabinet de gastro-entérologie sur le boulevard du 11 Janvier.
Sur le plan professionnel, Haj Serbati ajoute : « En regagnant l’ONI, je trouvais alors comme directeur Raymond Aubrac, le célèbre résistant français et ingénieur civil des ponts et chaussées. Il était en coopération au Maroc et avait assuré l’intérim du directeur du périmètre irrigué des Doukkala. Le siège de l’Office se trouvait alors dans l’ancienne villa de fonction de l’avenue Mohammed VI, en face de l’actuel bâtiment de l’Office. Après un certain temps, Abdelmajid Laraqui, ingénieur agronome et militant connu, fut nommé directeur et Raymond Aubrac regagna Rabat. À cette époque, à l’ONI, j’exerçais auprès d’un personnel varié, marocain musulman et juif, et étranger. Mais les postes de cadres étaient tous pratiquement occupés par des étrangers dont certains étaient originaires d’El Jadida. Il y avait par exemple : messieurs Revole, Fargeix, Carrey, Rizzo, Lafosse, Arigo et Plusquellec. Il y avait aussi un espagnol et un vétérinaire malien, venu de Belgique, qui s’appelait Seydou Sidibé. Aujourd’hui Seydou, selon son profil sur LinkedIn, est consultant indépendant. »
Le périmètre irrigué des Doukkala relevant de l’ONI devint Office de Mise en valeur agricole des Doukkala en 1966. À cette époque, l’établissement eut recours pour répondre à ses besoins en personnel aux techniciens étrangers : Français et Italiens. Cette situation se prolongea jusqu’en 1979. Les dossiers du personnel étranger étaient rassemblés puis classés par Haj Serbati au Bureau du Personnel. Ce dernier remarque que l’établissement s’était orienté après vers le recrutement de techniciens et vétérinaires provenant des pays de l’Est comme la Hongrie, la Bulgarie et surtout la Pologne. Car, ces derniers étaient payés presque au même titre que leurs homologues marocains.
Haj Serbati bénéficia de sa retraite en 2005 et, depuis il vaque à ses loisirs et à ses occupations familiales.

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