Il y a plus de 14 ans le quotidien « Le Matin » du 23 avril 2010 titrait à la Une et en gros caractères: « S.M. le Roi préside la signature de la convention portant sur la mise à niveau de Oualidia et la préservation de sa lagune ». Et en sous titre: « ce plan d’action sera réalisé entre avril 2010 et mars 2012 pour un crédit de 329, 85 MDH ».
Le même quotidien était revenu sur cet important projet dans son édition du 31/1/2012 sous le titre « S.M. le Roi prend connaissance de l’état d’avancement du plan intégré de mise à niveau de Oualidia et de la préservation de sa lagune ». L’article qui suit ce titre donne le détail des actions à entreprendre, (dont nous passerons en revue, plus loin, les états d’avancement à ce jour) et note que les volets agriculture et ostréiculture étaient « bien avancés » et le volet habitat « réalisé à 55% » alors qu’on était à moins de deux mois de la date d’achèvement prévue.
Un projet sinon abandonné, du moins fortement amputé
Le projet était donc en retard dans sa réalisation, comme c’est souvent la règle pour les projets du même genre, encore que dans le cas de celui-ci, l’attention particulière du roi, avec deux visites sur place en moins de 2 ans, aurait dû lui permettre d’y échapper. Mais aujourd’hui, pire que victime d’un simple retard, le projet semble avoir été sinon abandonné, du moins fortement amputé. Car depuis la seconde visite royale, pour l’observateur que je suis (je passe près de six mois par an à Oualidia), apparemment plus aucune nouvelle de ce projet.
Ce qui ne manque pas d’étonner quand on sait que ce projet qui bénéficie, outre l’attention du souverain, d’un budget (exceptionnel pour une agglomération de moins de 20 000 habitants) de près de 330 MDH, soit plus de 16 mDH/hab., aurait dû, s’il avait été mené à terme, transformer sensiblement l’espace concerné et l’existence de ceux qui y vivent. Or rien de cela ou presque. Le voyageur venant de Safi vers El Jadida notera probablement les jolis candélabres et les palmiers qui bordent le tronçon de route qui traverse Oualidia ainsi que les quelques immeubles et cafés d’allure citadine édifiés récemment sur ce tronçon (investissements privés sans relation avec le projet lui-même). Et si le voyageur descend vers la plage, il ne manquera pas de s’étonner des nouvelles artères (larges comme des autoroutes) dont Oualidia a été dotée. Sinon rien n’atteste le grand changement espéré de la visite royale du 23 avril 2010.
Ce qui pourrait être taxé de fausse impression fondée sur un manque d’information se trouve, malheureusement conforté quand on passe en revue l’état de réalisation des actions du projet.
Etat actuel de réalisation des composantes du projet
Agriculture : Il était prévu d’éliminer toute pollution microbienne ou chimique de la lagune d’origine agricole par la rationalisation des cultures maraîchères sur les bords de la lagune, l’amélioration des pâturages et l’organisation de la production laitière. S’il est difficile d’affirmer que le niveau de pollution de la lagune a baissé, par contre rien n’indique que les techniques de culture et d’élevage ont été modifiées dans le sens d’une moindre émission d’agents polluants ni que les pâturages ont été améliorés, comme il ressort des entretiens menés avec quelques agriculteurs/éleveurs.
Habitat: Le centre de Oualidia a bénéficié d’un réseau d’évacuation et d’une station d’épuration des eaux usées ainsi que d’un réseau d’évacuation des eaux pluviales (la nécessité de ce dernier reste toutefois à prouver). Par contre on chercherait en vain toute manifestation de » l’adaptation de l’habitat à la nature écologique du site et la revalorisation du paysage urbanistique de la commune » prévues au projet.
Eaux et Forêts et Lutte contre la Désertification : La ceinture verte autour de Oualidia et le parc ouvert au grand public de 50 ha prévus dans le projet ont, de toute évidence, été oubliés. Par contre le Centre d’information pour la protection et la préservation de la Lagune de Oualidia a bien été construit mais la mission « d’informer les visiteurs sur les spécificités biologiques et écologiques de la lagune et [le] programme de sensibilisation du public aux dangers qui guettent l’écosystème » prévus au projet attendent toujours l’improbable mise en service de ce centre.
Quant à la station de l’Institut National de Recherche Halieutique de Oualidia censée avoir bénéficié d’un budget de 15 MDH pour le financement d’une campagne de prélèvements et d’analyse de l’eau de la lagune, reste la boite noire qu’elle a toujours été : personne ne sait ce qui s’y passe (pour autant qu’il s’y passe quelque chose).
Ostréiculture: le projet prévoyait de porter la production d’huîtres à 500 tonnes/an à travers l’amélioration de la qualité de l’eau de la lagune et la réalisation d’une souille ainsi que la « valorisation de l’image des produits (label et indication d’origine protégés) ». Les mêmes doutes qu’on peut avoir sur l’amélioration des eaux de la lagune rejaillissent sur l’augmentation de la production ostréicole. Rien ne semble avoir changé dans les trois parcs à huitres qui exploitaient la lagune de façon artisanale avant le lancement du projet (avril 2010). Pas plus qu’ils n’ont passé la convention de partenariat avec l’Etat prévue dans le projet pour valoriser l’image de l’huitre de Oualidia.
Par contre la souille d’une superficie de 4 ha semble avoir été aménagée à l’extrémité nord de la lagune par dragage. Le but de cet ouvrage est de remplacer le sable (aspiré du fond de la lagune et rejeté dans l’océan) par la vase qui favorise l’implantation et la croissance des huîtres. Cette opération a été réalisée pour un montant de 40 MDH dont 4 MD pour les études (selon le panneau installé, à l’époque sur la route d’El Jadida à 8 km au nord de Oualidia). Mais, plus de 10 ans plus tard on n’en voit aucun signe d’exploitation laissant penser que ce projet a été abandonné après avoir consommé plus de 10% des crédits totaux alloués (329 MDH).
Un Projet dénaturé qui a raté sa cible
En résumé, on peut dire que le projet de mise à niveau de Oualidia lancé en grande pompe en 2010, n’a été réalisée qu’à minima. Celui-ci comporte une composante hardware (génie civil) au service d’une composante software (actions de protection du site dont la lagune est la pièce maitresse). La première, qui ne nécessite que la gestion de marchés de travaux confiés à des entreprises privées, a été en grande partie réalisée. Par contre la seconde qui nécessite une plus grande implication des agents de l’Etat et de la collectivité territoriale concernée (et surtout plus de matière grise que de bitume noir) a été complètement négligée. Le cas du Centre d’information pour la protection et la préservation de la Lagune de Oualidia illustre particulièrement ce jugement sévère : le centre a bien été construit (hardware) mais ses missions d’information et de sensibilisation en vue de protéger la lagune (software) ont été perdues de vue. On peut en dire autant de l’ostréiculture : la souille a été réalisée mais son exploitation abandonnée, de même que le partenariat avec la Profession en vue de la valorisation de l’image des produits et ainsi de suite…
On ne peut malheureusement pas parler, comme il est d’usage en matière d’évaluation de projets, de bilan mitigé ou contrasté; on doit reconnaitre que le projet a été dénaturé et, de ce fait, a raté sa cible, les ouvrages réalisés n’étant que des moyens au service d’une fin (mise à niveau de Oualidia et protection de sa lagune) et non une fin en soi.
Ce projet peut et doit être repris
Mais que le lecteur ne se trompe pas sur l’objet de ce papier qui n’est pas de jeter la pierre à qui que ce soit mais de tenter de tirer les leçons de cette expérience. La première est que l’échec du projet de mise à niveau de Oualidia et la préservation de sa lagune n’est pas définitif, il peut et doit être repris là où il a été abandonné ou complètement réorienté. Pour redémarrer la réalisation du projet, une mission (confiée à un cabinet d’études compétent) devrait être diligentée sans tarder pour réaliser l’étude de faisabilité du projet dont l’absence en 2010 peut expliquer l’échec constaté.
De la nécessité de promouvoir Oualidia
Oualidia est un site unique au Maroc qui recèle des richesses qui attendent d’être exploitées depuis trop longtemps. Sur 2000 km de littoral de Tanger à Dakhla, le Maroc ne comporte qu’un site susceptible de rivaliser en beauté avec celui de Oualidia : Moulay Bousselham (80 km au nord de Kenitra). Mais Oualidia possède sur ce dernier deux avantages décisifs : L’ostréiculture qui y est pratiquée depuis des lustres et qui en fait la réputation et une vaste réserve foncière sous la forme de friches dans et autour du centre de Oualidia foisonnantes de faune et flore sauvages propres aux milieux humides.
Et last but not least Oualidia abrite un site mémoriel: L’ancien palais de feu Mohammed V (aujourd’hui en ruines, photos) qui pourrait facilement être restauré et abriter un musée consacré à l’histoire de l’Indépendance du Maroc que ce monarque personnifie.
Il ne fait aucun doute que si le projet initié par le roi Mohammed VI en 2010 (faire de Oualidia et sa lagune le premier site aménagé non pas dans le respect de l’environnement mais pour l’environnement). Oualidia (qu’un poète inspiré qualifia de « perle dans un écrin naturel privilégié »), pourrait devenir une destination touristique exceptionnelle pour le grand bonheur de ses habitants (aujourd’hui oubliés) et de ses visiteurs.
Mohammed Chraibi