Chronique de Mustapha Jmahri : Qui sont les lecteurs des « Cahiers d’El Jadida »?

En entamant leur trente-et-unième année, « Les cahiers dEl Jadida » n’ont pu continuer à être édités et diffusés que grâce à leurs lecteurs du Maroc et d’ailleurs. En effet, un projet éditorial, comme tout projet, ne peut vivre et survivre que s’il réussit à fidéliser des adeptes, et pour le cas d’espèce, son propre lectorat.
Jai rappelé le 1er mars 2024 lors de l’hommage qui m’a été rendu par l’Institut français d’El- Jadida, qu’au départ, en me lançant dans cette aventure de recherche, je me suis inspiré de mes aînés et notamment du sociologue Abdelkébir Khatibi, natif d’El Jadida. Ce dernier donnait trois conseils au chercheur : se pencher sur le marginal et la marginalité, travailler dans le cadre d’un projet et créer son propre lectorat.
Si le premier conseil reste un choix pour chacun, les deux autres sont étroitement liés dans la mesure où ce lectorat ne se reconnaîtra, au fil du temps, que dans l’intérêt d’un projet qui répond, à ses attentes. C’est ainsi qu’après la parution de mes premiers livres, j’ai défini mon projet et baptisé cette publication « Les cahiers d’El Jadida ». J’ai alors, petit à petit, identifié que mon public venait de différents horizons mais que tous avaient en commun un intérêt marqué pour le passé récent d’El Jadida.
Pour aider à l’ancrage du projet et lui spécifier une identité visuelle, Driss Lebbat, Webentrepreneur marocain, m’a aidé dans la création d’un logo propre. Le nom « Les cahiers dEl Jadida » fut écrit en petits caractères sur deux lignes à droite de la silhouette du phare Sidi Bouafi, édifice emblématique de la ville bâti en 1916. Au début, le choix avait porté aussi sur la silhouette de l’agave, plante historique connue sur le territoire de lancien El Jadida, mais il s’est avéré que ladite plante était également présente dans d’autres endroits du Maroc, alors que le phare était un symbole exclusif à cette ville.


Aujourdhui, en 2024, cette série entame sa trente-et-unième année et je peux dire que cette longévité est en grande partie due aux lecteurs. Ce travail cumulatif m’a permis de définir le profil de ce lectorat constitué principalement de trois groupes porteurs de ce que je peux appeler « la mémoire mazaganaise » à savoir : les Marocains ayant vécu à El Jadida au temps du Protectorat, les Jdidis de confession juive de la diaspora et les Européens, principalement Français, ayant quitté la ville aux lendemains de l’Indépendance. Ces catégories de personnes ainsi que leurs héritiers sont demandeurs de cette histoire commune qui se prolonge par la transmission orale notamment.
En somme, mon lectorat provient, principalement, de ces trois groupes que j’ai cités. Mais ce serait très limitatif de dire qu’il n’y a pas dautres lecteurs en dehors de ces groupes mémoriels. En effet, ce que j’ai découvert, avec une certaine satisfaction et reconnaissance, c’est que « Les cahiers d’El Jadida » ont pu attirer l’attention dun quatrième groupe de la sphère de chercheurs marocains comme étrangers. Des historiens, géographes, anthropologues ou sociologues, qui, à la longue, ont observé mon cheminement ou apprécié certaines de mes recherches, et m’ont manifesté leur reconnaissance et encouragement.
Il faut avouer aussi que cette dernière reconnaissance, venant de la sphère universitaire ou académique, m’a donné plus de confiance dans mon travail et sur son utilité pour la communauté à plus d’un titre.


Depuis le 7ème numéro, en 2007 (le 1er numéro est paru en 1993), « Les cahiers d’El Jadida » sortent d’une seule et même imprimerie Najah Al-Jadida, entreprise d’impression connue à Casablanca. Car le livre n’est pas que contenu mais aussi une forme que j’essaye avec mon imprimeur d’améliorer et d’utiliser un papier de qualité. Finançant moi-même mes publications (à quelques exceptions près), le tirage pour chaque titre est de 1 000 exemplaires, ce qui est le tirage généralement admis et accepté au Maroc depuis les années 1970. En effet, l’achat du livre se heurte à des contraintes de plus en plus nombreuses.
La diffusion de ces publications prend différentes formes : librairie (à El Jadida, Casablanca, Rabat et Marrakech), vente directe lors de séances de signature, ou par envoi postal notamment pour les lecteurs résidant en France. Sur chaque tirage de livre je réserve une dotation, à titre gracieux, d’une centaine de livres destinée aux structures de lecture publique et aux étudiants. Car le lectorat se renouvelle par les générations et par les besoins qui naissent ou apparaissent au gré des circonstances.
Parlant de mon lectorat, j’avoue aussi que j’ai rencontré, dans mon parcours, différentes heureuses surprises qui m’ont marqué. Certains fidèles lecteurs, faisant confiance à mon travail, m’ont exprimé leur générosité en supportant totalement ou partiellement les frais dédition de certains cahiers publiés. Un autre lecteur français, ancien professeur de latin à El Jadida (G. G) dans les années 1950, tenait à ce que je lui envoie toute nouvelle parution. Cela continua jusqu’à son décès que j’ai appris par sa fille. Cette dernière me disait dans son message que son père, quoique qu’il eût perdu la vue dans les dernières années de sa vie, tenait à prendre connaissance de mes ouvrages quelle lui lisait. Ma surprise fut grande, car au téléphone, il n’avait jamais fait allusion à sa cécité survenue avec l’âge.
Enfin, si j’ai reçu régulièrement sans réelle surprise et tout en les appréciant, des mails de lecteurs francophones de France, j’ai été plus étonné je l’avoue d’en recevoir parfois de lecteurs d’Afrique noire comme celui reçu un jour d’un écrivain nigérien qui me commandait un livre après avoir lu quelques uns de mes textes sur un site Internet. Comme quoi le public est avant tout celui qui s’intéresse et aime l’Écrit au-delà de frontières préconçues.
jmahrim@yahoo.fr

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