Chronique de Mustapha Jmahri : D’El Jadida à l’ancien monastère de Toumliline

Depuis ma lecture du beau-livre du professeur Jamaâ Baida intitulé : « Il était une fois Toumliline », publié aux éditions La croisée des chemins en 2019, j’avais envie de m’y rendre pour visiter ce grand lieu de la mémoire commune nationale et internationale. L’occasion s’est présentée dimanche 19 mai 2024 suite à ma participation aux Quatrièmes rencontres culturelles d’Azrou.
Mais c’est grâce au professeur Gérard Chalaye, « would Azrou », qu’il connaît depuis plus de quarante ans, que cette visite s’est réalisée. Gérard Chalaye, universitaire français, ayant d’abord enseigné, de 1980 à 1987, au Lycée Tarik (ex Collège berbère), ayant fait souche à Azrou, où il vit de nouveau depuis sa retraite, était, avec son épouse Aziza, nos sympathiques guides lors de cette promenade. Notre groupe de visiteurs venant d’El Jadida comprenait la professeure Jamila Ayaou, la professeure Touria Uakkas, mon épouse et moi-même. Il y avait également l’éditrice française Caroline Calvignac.
Les vestiges de l’ancien monastère bénédictin Toumliline, «pierres blanches» en amazigh, se trouvent à cinq kilomètres d’Azrou et à 1 600 mètres d’altitude. Ce monastère a fonctionné pendant seize ans d’octobre 1952 à 1968. Il était destiné au clergé, aux mouvements de jeunesse catholiques et aux laïcs pour lesquels il devait organiser des séminaires et des retraites. Mais, les moines simpliquèrent aussi dans deux fermes et une hôtellerie, tout en créant un dispensaire et un internat pour orphelins musulmans. Ils ouvrirent également leur bibliothèque aux lycéens et aux étudiants de la région. Ces activités reçurent l’aval du souverain et du âllama Mohammed Belarbi Alaoui.
Le monastère bénédictin de Toumliline est situé en surplomb d’Azrou dans le Moyen Atlas dans un cadre verdoyant où domine une forêt de cèdres et de chênes verts. Le site laissa une empreinte profonde chez toutes celles et tous ceux qui croisèrent le destin singulier de ces moines venus des environs de Castres, en France. Les bénédictins avaient créé des structures pour l’aide des populations : orphelinat, bibliothèque, sessions pour les étudiants. Les moines s’étaient aussi investis dans le travail de la terre : élevage, apiculture, aviculture ainsi que dans le développement de certains métiers tels la maçonnerie, la mécanique et la menuiserie. En 1955, le monastère recevait quotidiennement une centaine de femmes dans son infirmerie en quête de soins de santé.
Au temps du Protectorat, ce lieu devint une véritable maison pour un nombre d’enfants de la région, qui étaient nourris, logés et suivaient un apprentissage jusqu’à leur départ pour les études supérieures. Le lieu ouvrit ses portes également aux lecteurs, chercheurs et étudiants désireux de consulter sa bibliothèque ou encore, de regarder un film dans son espace cinéma.
Au mois d’août 1956 une sorte d’université d’été fut organisée à Toumliline sous le haut patronage du roi Mohammed V et sous la présidence de l’archevêque Amédée Lefèvre. Le thème majeur de cette rencontre portait sur « La Cité ». 120 participants (Marocains, Français, Belges, Allemands, Camerounais, etc..) y débattirent du thème. Lors des années d’activités de ce lieu d’échanges plusieurs intellectuels et chercheurs marocains et étrangers y ont donné des conférences ou ont assisté aux rencontres organisées : Louis Massignon, Emmanuel Lévinas, Pierre Emmanuel, l’anthropologue marocain Abdellah Hammoudi, la diplomate Aïcha Belarbi, le journaliste Hassan Alaoui, l’universitaire Jilali Saïb, Fatima Hassar et d’autres encore dans les domaines culturels ou politiques.
La Fondation Mémoires pour l’Avenir (FMA), association marocaine à but non lucratif créée en 2008, et présidée par madame Lamia Radi, travaille sur la mémoire du site de Toumliline depuis 2015 et a signé en juillet 2021 un partenariat de mise à disposition du site avec le Conseil préfectoral de la ville de Meknès, pour y développer des activités de mémoire et d’avenir. L’objectif de ce projet, intitulé « Réinventer Toumliline », est de préserver et de transmettre aux jeunes générations l’exemplarité de ce lieu de rencontre, de dialogue respectueux et de partage entre des personnes de religions autant que de convictions différentes.
Le site est exceptionnel par sa situation géographique et sa beauté. C’est là qu’a été tourné en 2009 le film « Des hommes et des dieux » sorti en 2010, sur la vie et la tragédie des moines de Tibhirine. Il fut restauré en partie pour les besoins du tournage, mais l’ensemble paraît bien délabré et nécessite une restauration rapide dans le cadre dudit partenariat.
jmahrim@yahoo.fr


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