C’est tout à fait par hasard qu’au début de 1988, j’ai connu Dr Guy Delanoë indirectement par échange de correspondances. J’avais lu dans le journal marocain « Le Matin » la parution du premier tome de ses Mémoires historiques, je ne savais pas si c’était un descendant des Delanoë de Mazagan ou si c’était un homonyme. Je lui ai alors adressé une lettre par le biais de son éditeur L’Harmattan. Après quelques temps, j’ai reçu sa réponse, il était heureux d’apprendre que ma lettre lui était parvenue de sa ville natale El Jadida et que leur nom n’avait pas été oublié. C’est ainsi que nous avons échangé une correspondance qui continua jusqu’à son décès.
Notre rencontre directe se réalisa à Rabat en février 1990. Il mavait auparavant prévenu de son arrivée pour l’animation d’une cérémonie consacrée à la signature du premier tome de ses mémoires. Je l’ai rencontré chez son ancien confrère le Dr Hubert Michon devenu l’archevêque de Rabat. À l’époque, je l’ai trouvé un peu fatigué et comme il commençait à ne pas retenir les dates et les noms, il tenait à les noter sur son agenda. Il m’exprima alors sa crainte que la mort ne vienne le surprendre avant qu’il n’ait terminé la préparation de la seconde partie de son ouvrage pour la rédaction duquel il avait, malgré son âge, mobilisé toutes ses forces. Mais il engagea tous ses efforts pour prendre la mort de vitesse et finira les trois tomes. Sa fille, Nelcya, s’occupa de la correction des deux derniers.
Une semaine après, on s’est rencontré à El Jadida où il était venu présenter son livre à l’Alliance franco-marocaine. Il a passé la nuit à l’hôtel de Provence non loin du marché central qui lui rappelait bien des souvenirs. Le lendemain, on a longé la Place Mohammed V vers la Place Hansali (ex place Brudo), et lorsqu’on s’est approché du cinéma Paris, il ma montré l’hôtel de la rue Lescoul où sa mère logea en 1913 lorsqu’elle était venue travailler comme médecin. On s’est attablé au « café Souss » disparu, pour prendre un thé à la menthe. Vers midi je l’ai aidé à faire sa valise et à prendre un taxi de la station Sidi Bouafi pour Oualidia (78 km d’El Jadida). Il comptait se reposer dans la villa familiale en face de la mer, tout près de la résidence d’été de Mohammed V. C’est la villa familiale qui fut vendue par ses héritiers en 2012.
Lors de cette rencontre à l’Alliance franco-marocaine d’El Jadida en février 1990, il m’expliqua la raison qui l’avait poussé à publier son livre : « Je suis médecin, non historien, disait-il. Je suis devenu historien malgré moi. En effet, quand j’eus pris ma retraite, je me suis mis à feuilleter les papiers que j’avais emportés avec moi lors de mon retour du Maroc. C’était une quantité considérable de papiers. Je me suis dis que si je ne publiais pas ces documents, ils seraient perdus à jamais. C’est pourquoi je fis tous mes efforts pour les mettre en ordre et les rassembler dans un livre. Je pus aussi, non sans peine, trouver pour ce livre un éditeur intéressé par les affaires du Tiers-monde en général».
Quatre mois après notre rencontre à El Jadida, il m’écrivait une lettre datée du 7 juin 1990, pour me communiquer le plan provisoire du deuxième tome en me demandant de ne pas le révéler, car il n’y avait pas apporté les dernières retouches et les corrections qui s’imposaient.
J’avais tissé avec Dr Guy Delanoë une relation d’amitié et d’échanges sur l’histoire du Maroc et d’El Jadida. Il m’avait aussi invité à lui rendre visite chez lui à Villeneuve lez Avignon, mais, pour des raisons personnelles, je n’ai pu m’y rendre. Ces lettres que j’ai reçues de lui, font partie du don de documents que j’ai remis en 2022 aux Archives du Maroc à Rabat.
Le défunt était aussi, indirectement, derrière la publication du livre-guide « Tout savoir sur El Jadida et sa Région », élaboré en collaboration avec mon compatriote Rémon Faraché. Guy m’a confié une lettre que lui avait remise l’architecte français J.L. Dollfus à propos dun projet de guide sur El Jadida et les Doukkala. Cet architecte qui avait fait la connaissance de Guy à Casablanca souhaitait que Guy lui indiquât ce qu’il connaissait d’insolite en particulier sur la ville d’El Jadida comme sur toute la province ainsi que les petits textes historiques qui pouvaient appuyer les visites de certains sites. Sur son conseil, j’ai fini par entrer en contact avec l’architecte Dollfus qui m’a aimablement confié sa petite documentation.
Il reste à signaler que la famille du Dr Delanoë était une famille d’écrivains et de médecins qui se consacrèrent à la population marocaine et particulièrement à celle d’El Jadida et des Doukkala. En effet, sa mère, la doctoresse Eugénie Delanoë, première femme exerçant la médecine moderne au Maroc à partir de 1913, a publié en 1949, à Paris, un livre sur ses activités médicales et sociales à l’hôpital d’El Jadida. Sa fille Nelcya Delanoë a fait paraître un livre sur sa grand-mère intitulé La femme de Mazagan paru aux éditions Seghers. Quant à son grand-père le Dr Pierre Delanoë, dont une rue d’El Jadida porte le nom, il a laissé un manuscrit qui est une sorte déphémérides concernant la situation sociale de la campagne doukkalie dans la première période du Protectorat. Signalons que ce même père fut un ami et voisin de Mohamed Azerkane, responsable des Affaires étrangères d’Abdelkrim Khattabi, que la France avait exilé à El Jadida.
C’est aussi grâce à Guy Delanoë que j’ai fait la connaissance de sa fille Nelcya, écrivaine et professeur d’université. Elle avait apprécié nos échanges et le fait qu’elles apportaient un peu de joie à son père. J’ai aussi, lors d’un voyage à Paris, rendu visite à madame Gisèle Mange, l’épouse de Guy, ainsi quà son fils Jean-Yves. J’ai rencontré ce dernier à plusieurs reprises à El Jadida où il était l’un des conseillers pour le projet du nouvel hôpital régional.
Nelcya m’informa du décès de son père et de la date du transfert de ses cendres au cimetière chrétien d’El Jadida pour être déposées dans le caveau familial. En raison des circonstances, l’inhumation dans sa ville natale n’a eu lieu que le 2 mars 1992. Assistaient à cette cérémonie, entre autres, ses compagnons marocains : Dr Abdelkrim Khatib, Mohammed Mjid et Dr Abdeslam Harraki.
(Ce texte a fait l’objet de mon intervention à la 2ème édition du Salon du livre d’histoire d’El Jadida organisé par la Fondation Chouaïb Doukkali au Musée de la Résistance le 27 avril 2024)