Chronique de Mustapha Jmahri : Le deuil dans « La cruche cassée »

J’ai lu d’un trait le premier roman de l’écrivaine marocaine, résidant en France, Hayat El-Yamani « La cruche cassée ». Le titre du roman rappelle le tableau de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) conservé au musée du Louvre à Paris, mais sans aucun lien sinon cette cassure de l’être.
Ma première constatation en lisant le roman, est que la romancière s’est approchée du style et de l’ambiance du roman « l’Étranger » d’Albert Camus. C’est presque le même début. Une ressemblance aussi au niveau du thème : décès dun parent, ici la grand-mère et l’emploi central du pronom « Je ».
L’autre aspect réside dans la simplicité et la douceur du récit. C’est une histoire de deuil racontée avec aisance, empreinte, un peu, de noir.
L’histoire est ancrée au Maroc. Dounia, ingénieur vivant à l’étranger, revient dans son village natal au Maroc assister aux funérailles de Yemma, l’aïeule de sa famille, elle se retrouve plongée dans un monde de coutumes et de comportements des hommes et des femmes dont elle avait perdu l’habitude.
L’écrivaine a choisi Behalil, comme lieu d’événements de son roman, mais le choix de cette commune située au pied du massif montagneux du Moyen Atlas, à côté de la ville de Sefrou, n’a rien de particulier. On peut affirmer que tout autre village au Maroc aurait pu contenir cette intrigue touchante et profondément humaine. Quelques phrases de ci de là dans le roman restituent l’atmosphère du lieu, mais en règle générale, il n’a rien de spécifique, il aurait pu s’agir aussi bien de Ben-Ahmed, de Had Soualem ou de bien d’autres villages marocains, qui se vident de ceux qui en sont originaires, partis trouver du travail dans des villes plus grandes, ou à l’étranger. Le même phénomène est constaté partout ailleurs au Maroc.
Comme elle me l’a expliqué dans un courriel, l’écrivaine originaire de la ville de Sefrou a préféré situer ce roman 7 km plus loin, à Behalil, pour laisser ses proches libres de s’identifier ou pas à ses personnages. Le roman n’étant pas une autobiographie, mais construit à partir de faits réels, elle a constaté, à posteriori, que tout son entourage cherchait à s’y retrouver !
L’histoire commence le 8 septembre 1998, et finit le samedi 12 septembre, cinq jours plus tard, durant lesquels le rituel funéraire est détaillé au quotidien, avec, en parallèle, deux histoires : celle de la grand-mère maternelle disparue, aïeule du village, mariée à 13 ans, veuve à 30 ans, qui avait élevé seule ses sept enfants, et celle de Dounia, jeune femme éduquée du Maroc moderne, à qui, tout doucement, beaucoup de personnages font des confidences parfois poignantes sur leurs vies.
Ce roman offre au lecteur un heureux moment de méditation sur les choses simples de notre vie, et sur le processus de deuil collectif tel qu’il est vécu au Maroc.
Hayat El-Yamani a également publié, « Rêve d’envol », « Les fables de Ninio », « Biculturels », et « Comme une pierre que l’on jette ». Je reviendrai ultérieurement sur ces ouvrages.
Issue dune famille marocaine, Hayat El-Yamani a fait ses études au lycée français de Rabat puis en France. Elle vit et travaille à Paris.
jmahrim@yahoo.fr

Related posts

Leave a Comment