La citerne Portugaise, un joyau architectural sous la menace du spectre de la décrépitude.

S’il y’a un lieu qu’il faut incontestablement évoquer en parlant d’El jadida, c’est bien la citerne portugaise. Véritable bijou architectural de style manuelin, c’est un endroit magique qui respire l’histoire et qui rappelle l’épopée de la ville et la convoitise dont elle faisait l’objet au temps où elle portait le nom de Mazagâo, quand portugais et marocains guerroyaient pour s’approprier sa rade qui constituait l’ancrage le plus sûr de la côte atlantique.

Construite au XVI ème siècle, et ingénieusement implantée au milieu de la cité portugaise, dont elle a grandement contribué à l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2004, elle servit d’abord comme grenier à grains et comme dépôt de munitions avant d’être utilisée en tant que réserve d’eau de pluie pour approvisionner en eau la ville assoiffée par de longs sièges.
Oubliée au fil des siècles après la libération de la ville de l’emprise des Portugais en 1769, une légende raconte qu’elle fut redécouverte par hasard par un commerçant juif qui voulait agrandir sa boutique vers les années 1916, mais beaucoup de doutes planent sur cette histoire.

Cette merveille architecturale a charmé aussi bien plusieurs historiens qui l’ont mentionnée dans leurs ouvrages, que des cinéastes qui sont venus de loin pour y tourner des scènes de leurs films.
Elle mérite tous les superlatifs flatteurs et on ne peut que l’admirer sans modération.
Construite en pierre sur un espace carré dont le rayon est d’environ 40 mètres, dominé par des poutres et des voûtes de style gothique, elle se distingue par un ingénieux éclairage naturel : un faisceau de lumière provenant de l’oculus creusé dans la travée centrale, et qui permettait de puiser l’eau de la citerne, s’apparentant aussi au procédé conçu par les Pharaons pour infiltrer le soleil au centre des sépultures pyramidales.
La réverbération des vingt-cinq colonnes , en forme de palmiers , dans l’eau stagnante, éclairées par ce faisceau donne un côté magique de demi-jour, à un décor d’une extraordinaire beauté.
Cette atmosphère auréolée de mystère n’a pas échappé à l’oeil artistique du réalisateur américain Orson Welles qui lui donna un coup de projecteur mondial en venant y tourner entre 1949 et 1952 son chef d’oeuvre Othello, qui avait reçu le Grand prix du festival de Cannes.
On raconte pour l’anecdote que pour contourner un problème de costumes, il avait décidé de transformer le décor en hammam. D’autres réalisateurs ont été également subjugués et inspirés par l’atmosphère poétique de la citerne comme Francis Ford Coppola (Retour de l’étalon noir ) et Arthur Joffé ( Harem ) qu’ils utilisèrent comme décor pour certaines scènes de leurs films.
De vieilles cartes postales montrent des femmes voilées assises sur la margelle centrale, comme des personnages d’un autre temps sorties d’un roman de Pierre Loti.
C’est donc sans conteste un endroit qui vaut le détour. Pour quelques dirhams symboliques à l’entrée, on est propulsé dans un cadre féerique, où l’obscurité, le bruit des gouttes d’eau, le jeu d’ombres et de lumières constituent un effet esthétique saisissant. Certes , la visite ne dure que quelques moments , mais les murs suintent la longue odyssée de la ville et renvoient l’écho des convoitises et des luttes entre portugais et marocains durant de longues années. Malheureusement, ces murs suintent également l’humidité et pleurent à chaudes larmes non seulement à cause des champignons et des moisissures qui les attaquent, mais aussi en raison de la négligence dont ce monument fait l’objet.
Un tel vestige légué par l’histoire mérite d’être mieux valorisé, mieux entretenu, il ne suffit pas qu’il soit classé patrimoine mondial de l’UNESCO, encore faut-il en prendre soin, faire preuve de créativité en installant du matériel pour la présentation audiovisuelle de l’histoire du lieu, avec éventuellement un fond musical pour l’animer et lui donner encore plus de charme.
Il devrait être aussi mieux indiqué, la pancarte qui le signale ressemblerait plutôt à celle d’une gargote mal famée..
Les responsables en charge du patrimoine local devraient comprendre que ce dernier, légué par les ancêtres qui ont mis des années à le conserver, serait irrémédiablement perdu et ne pourrait jamais être recréé si on ne met pas en œuvre toutes les mesures pour le restaurer..
Mais où sont donc déjà les engagements pris pour la sauvegarde de ce riche patrimoine mondial..autant en emporte le vent…
Khadija Benerhziel

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