Chronique de Mustapha Jmahri : Fouad Laroui et nous, de la bande dessinée à la bande des cinés


Comme déjà évoqué dans mes articles précédents, notre première rencontre, M’barek Bidaki et moi-même, à El Jadida avec le romancier Fouad Laroui, était née de l’échange de bandes dessinées. C’était, pour nous jeunes collégiens dans l’enseignement public marocain, une bonne manière de maîtriser un tant soit peu la langue française. Fouad Laroui et ses amis de l’école française Jean Charcot à El Jadida s’exprimaient convenablement en cette langue et détenaient des dizaines de numéros de bandes dessinées. Fouad en avait une quarantaine car leur maison au quartier populaire de Lalla Zahra était voisine de « la caverne d’Ali Baba ». Cette caverne était en fait la boutique du vendeur d’anciennes bandes dessinées dit Tanjaoui. Le trésor n’était pas rangé et présenté comme il se doit sur des étagères mais jeté à même le sol. Au milieu de la boutique un grand amas de bandes dessinées posées sur une natte. Il fallait remuer et chercher.
En 1966 venait de paraître le numéro de Lucky Luck « Tortillas pour les Dalton » puis en 1967 « Dalton City » mais, en général, on ne pouvait pas les acheter neufs en librairie chez madame Germaine de Biazzo, par contre on pouvait les trouver facilement chez Tanjaoui, notamment les numéros parus au début des années 1960 tels « Les Dalton courent toujours » ou « Les Dalton sur le sentier de la guerre ». Le seul bémol de les acheter dans la boutique du quartier Lalla Zahra c’était leur aspect extérieur qui nous chagrinait un peu : le fait de trouver une couverture froissée, un bout de page déchirée ou une écriture au stylo ici ou là. L’idéal pour que nous soyons plus heureux était de tomber sur un numéro neuf ou presque. Dans ce cas, on disait entre nous que peut-être ce numéro provenait d’une famille française. Nous considérions, à l’époque, que nos amis français maniaient plus tendrement les livres et les magazines.
À cette époque-là, il y avait des dizaines de brocanteurs qui circulaient à bicyclette dans les quartiers et ramenaient au marché différentes choses : livres, radios, gamelle, assiettes, verres et autres. Mais tous préféraient le quartier du Plateau et son voisinage, car peuplé de familles européennes qui pouvaient proposer, en cas de départ définitif ou de congé long, de belles pièces. Ainsi les acheteurs ambulants ramenaient des objets intéressants dont, parfois, des albums Tintin ou des numéros de Lucky Luck neufs ou presque.


Si c’est bien le scénariste français René Goscinny (avec le dessinateur belge Morris) qui a écrit la bande dessinée Lucky Luck, nous quatre : Fouad Laroui, sa sœur Nadia, M’barek Bidaki et moi-même, nous venions à croire que nous étions plus malins que ce René Goscinny. On essayait alors d’imiter la bande Dalton : le rôle de Joe Dalton revenait, à l’unanimité, à Fouad, même s’il n’était pas le plus âgé (comme le vrai Joe Dalton), il était le plus intelligent et le plus petit. Tous les trois, on se partageait les rôles de William et Jack Dalton. Deux noms pour trois adolescents : mission impossible car personne ne voulait être Averell Dalton, le quatrième. Au-delà de sa longueur, il était considéré par ses concepteurs comme « le plus bête des frères Dalton bien qu’il ait parfois des éclairs de génie ».
Et bien que la bande des Dalton ne se compose que d’hommes, pour nous les garçons, la présence de Nadia Laroui, sœur de Fouad, ne posait aucun problème. On n’y avait prêté aucune attention.
Bizarrement aussi, et sans explication tangible, personne de notre groupe n’a pensé à prendre le rôle de Lucky Luke.


La lecture de la bande dessinée nous a donné envie d’aller voir les séries animées au cinéma ou carrément des films pour adultes. Là on se rencontrait au cinéma Paris de la légendaire et inoubliable madame Germaine Dufour. Même si, sur l’affiche, le film programmé était interdit aux moins de 12 ans ou au mois de 18 ans, personne ne nous interdisait l’accès en salle. Fouad avait 10 ans, et nous 14 ans, mais on pouvait librement voir les mêmes films du moment qu’on payait nos tickets d’entrée. D’ailleurs c’était là le plus grand dilemme pour M’barek Bidaki et moi : comment trouver chaque semaine, dans notre banlieue de raretés et plutôt pauvre la somme de 1.20 Dh pour une place en seconde, la moins chère des trois offres proposées par madame Dufour. Les plus nantis montaient au balcon avec ses beaux fauteuils rouges et payaient juste 1.90 Dh. Aucune comparaison avec les prix pratiqués aujourd’hui et, souvent, pour des films de moindre prestance.
C’est de cette façon que nous étions passés de la bande dessinée à la bande des cinés.
jmahrim@yahoo.fr

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