L’Hôtel marhaba : ce lieu de mémoire réduit au silence…
Les pierres et les murs portent-ils le poids du passé et la mémoire des événements ? Très certainement car, tout lieu chargé d’histoire est le témoin des choses de la vie et nous invite à un voyage dans le temps si on prend la peine d’observer, d’écouter, de nous laisser porter par lui . L’avenir est un néant et le présent, une réalité fugitive qui glisse immédiatement dans le passé. Par conséquent, notre patrimoine est tout ce que nous savons de nous-mêmes; ce que nous en préservons en est la seule marque. Avons-nous fait le nécessaire pour préserver et valoriser nos lieux de mémoire ? Nullement, Hélas ! Ils sont presque tous réduits au silence…
L’hôtel marhaba est un exemple parmi tant d’autres. Ayant connu des jours bien meilleurs et un passé rayonnant, il a perdu depuis , son prestige d’antan pour devenir des ruines squattées par des clochards et des alcooliques de tous bords… Ah ! Si ses pierres sortaient de leur mutisme et pouvaient parler, elles raconteraient ce que l’hôtel avait été, et pleureraient son état d’abandon d’aujourd’hui, tel une épave d’un paquebot tristement échoué sur la grève. Ces vieilles pierres, si elles pouvaient parler , elles décriraient la splendeur d’un grand hôtel à l’architecture moderne, élaboré par l’architecte français Émile Duhon, sous forme d’un paquebot de croisière, amarré sur une étendue de 5 ha, magnifique tant par son emplacement dans un cadre de verdure offert par le parc Mohamed 5, que par son orientation face à la belle plage de Deauville permettant ainsi aux occupants des suites d’avoir des vues imprenables de part et d’autre. Ses pierres évoqueraient sa passerelle qui surplombait les jolies cabines du front de mer, aujourd’hui murées malheureusement, et débouchait directement sur la plage, et dont les marches ont vu défiler de nombreuses personnalités du monde politique et artistique . Une belle passerelle que des mains criminelles ont sacrifiée sur l’autel de l’ignorance et de l’inculture… Elles rappelleraient à ceux qui l’ignorent ou à ceux qui font semblant de l’ignorer qu’il était fréquenté par les rois et les plus hauts dignitaires du royaume et d’ailleurs, et qui l’appréciaient à sa juste valeur. A ce titre, il est important de rappeler qu’il était la destination de prédilection du roi Mohamed 5, et que le roi Hassan 2, y ayant séjourné quelque temps, a été impressionné par l’excellence des mets présentés, a ordonné le transfert des chefs cuisiniers de l’hôtel aux divers palais royaux , et que la supervision des banquets du mariage du prince Moulay Abdellah a été confiée à l’un d’eux qui est devenu aussi le chef cuisinier de Mohamed 6 alors prince héritier.
Si les pierres pouvaient parler, elles évoqueraient aussi les scènes de la vie mondaine de cette période, que des personnalités du monde artistique , telles Charles Aznavour, sa femme Ulla , Samuel Beckett, Kiki Caron et d’autres y ont séjourné , ainsi que Ben Kingsley, Nastassja Kinski entre autres, lors du tournage du film Harem.
Cet hôtel, emblème de la Deauville marocaine qu’était Mazagan des années 60 à 80, belle bâtisse aux façades blanches et aux fenêtres illuminées de mille feux n’est plus que l’ombre de lui-même, ruine aux murs striés de noir et de sales graffitis, ses fenêtres ont perdu toutes leurs vitres et ressemblent à des orbites oculaires creuses. Il est à des années lumière de la carte postale dont s’enorgueillait la ville…
Si ces vieux murs pouvaient parler, ils se joindraient à nous et exprimeraient leur douleur sur toute cette dégradation…
La suite se lit dans ces murs. Venez et tendez l’oreille, ne serait-ce que pour le dépoussiérage de la mémoire amnésique d’une génération , la réconciliation avec l’identité et un hommage et un hymne à la beauté et à l’authenticité.
Khadija Benerhziel
L’Hôtel marhaba : ce lieu de mémoire réduit au silence…
