Chronique de Mustapha JMAHRI: Henri Ribeiro, méditerranéen de Mazagan, in memoriam

J’ai appris par le bulletin de l’Amicale des anciens de Mazagan le décès d’Henri Ribeiro en France. Une grande peine m’a submergé suite au décès de cet ami qui représente, en lui-même, cette culture méditerranéenne de Mazagan. Une culture d’ouverture, de raffinement et de brassage créatif. En 2015, je fus ébloui par son histoire, simple et profonde à la fois, qu’il me conta, en arabe marocain, ce 4 octobre, alors que nous étions à Rosas, l’une des plages de la Costa Brava.
Durant ce séjour passé avec d’autres membres de cette Amicale il n’a cessé de me révéler son attachement pour le Maroc et sa ville natale, Mazagan. Il n’aurait pas quitté ce pays si ce n’est pour gagner sa vie à un moment crucial de sa vie ; il m’expliqua qu’au lendemain de l’Indépendance, il se senti seul dans une ville où presque : tous ses amis français étant partis, suivis d’autres camarades juifs marocains. Henri Ribeiro, pur produit du Mazagan cosmopolite, Marocain par la naissance, Portugais par son père, Espagnol par sa mère et Français par choix et par la culture. Ainsi, à 17 ans, en 1960, l’adolescent Henri se posa la question essentielle : Qui suis-je ?
Le père d’Henri était Portugais mais, étant arrivé à El Jadida à 7 ans, il n’avait jamais vraiment connu le Portugal. Sa mère, espagnole, était née au Maroc. Les parents d’Henri se marièrent à El Jadida en 1940 et eurent deux enfants : Henri, né en novembre 1943, et son frère Jean-Marie en juillet 1945. Son père Ignacio, ou Nacio pour les Marocains, était chef de fabrication à la conserverie de sardines Pimag (Pêcheries industrielles mazaganaises) de 1948 à 1958.
Le jeune Henri et son frère pratiquèrent le judo dans la salle des sports, sous la houlette de son professeur M. Yacoubi. Il y avait avec eux Mostafa Debagh, Alain Bernaben, et ses cousins José et Claude Sintes. Son frère fut champion du Maroc de judo à Casablanca en 1964 devenant ainsi la plus jeune ceinture noire du Maroc. Il remporta de nombreux tournois à El Jadida, Meknès, Youssoufia, Khouribga, Casablanca et Rabat.
A l’Indépendance, Henri, suivit une formation pédagogique initiée par le ministère de l’Education Nationale et enseigna pendant deux ans aux écoles de Smamda et de Had ouled- Frej dans la région d’El Jadida. L’école Smamda se trouvant à un croisement à droite, en allant sur la route de Had ouled-Frej. Henri prenait le car chaque matin à 5h à l’arrêt de l’ancienne gare qui se trouvait accolée aux remparts. Il rentrait le soir par le car, mais parfois il couchait sur place, disposant d’une chambre au sein de l’école. Pendant cette expérience, il enseigna toutes les classes du primaire.
Mais à un certain moment, il lui fallut faire un choix pour son avenir. Jusqu’alors il faisait toutes ses démarches administratives au consulat du Portugal à Safi auprès de M. Dahan. Enfin, il décida de prendre la nationalité française par le biais du service militaire. Au terme de celui-ci, en 1965, il décida de travailler et de vivre à Paris. Il y exerça pendant plus de 40 ans dans le secteur de l’automobile. Il se maria avec son amie d’enfance née elle aussi à El Jadida, et qui a vécu des années à Sidi Bennour.
Quant à l’histoire de sa famille au Maroc, elle remonte à 1925. C’est en cette année-là que ses deux grands-parents Ribeiro, qui vivaient à Villa Réal au sud du Portugal dans la région de l’Algarve, s’expatrièrent au Maroc avec leurs deux enfants : le père d’Henri, qui était encore gamin, et sa sœur qui épousa, par la suite, M. Puig. La famille habitait au numéro 2 de la rue de Provence.
Le grand-père occupa le poste de Directeur de fabrication pour les Conserveries de Bordeaux au Maroc, située près du château Buisson, tandis que la grand-mère y était employée également, contrôlant les boites de sardines, en bout de chaîne. Une centaine de Marocaines, musulmanes et juives, travaillaient à préparer les sardines avant leur mise en boîtes.
Des années plus tard, et malgré leur forte activité, les Conserveries de Bordeaux cessèrent leur activité à Mazagan. Le grand-père et le père travaillèrent alors, en 1948, pour une autre firme : les Conserveries Pimag. Ignacio Ribeiro assurant la fonction de chef de fabrication. L’usine se trouvait elle aussi près du château Buisson et appartenait à Mme Chalencon et M. Rivault. Le directeur était André Darrigrand.
Le soir à la maison, ou dans la nuit, Ignacio communiquait par téléphone avec les différents bateaux en mer pour connaître le tonnage de leur pêche et réserver, ainsi, le poisson pour l’usine. Il se rendait ensuite au port d’El Jadida pour rencontrer les patrons de pêche et conclure les transactions. Il gérait aussi avec les transporteurs l’acheminement vers l’usine de tonnes de sardines et de thons.
Du côté maternel, le grand-père d’Henri était de nationalité espagnole et la grand-mère de nationalité française. Ils venaient tous deux d’Oran et avaient une famille très nombreuse. Sa mère Jeanne Lopez, la plus jeune des enfants, née en 1922 au quartier Bendriss à El Jadida où elle a habité pendant une bonne partie de sa jeunesse. Sa sœur aînée, Dolorès, épousa M. Sintes.
L’activité de l’usine Pimag fut très forte dans un premier temps. Elle adopta par la suite une stratégie de diversification (conserve de petits pois et récolte d’algues) mais cela ne parvint pas à éviter sa fermeture. En 1960, le père travailla dans le mareyage à Algenas Maroc, toujours à El Jadida. Les parents Ribeiro partirent ensuite pour Casablanca. Ignacio travailla comme chauffeur grand routier, pour les établissements Marti et ensuite à la société Agrupac (transports de fruits et agrumes). Il faisait les distances de Casablanca à Tanger et de Casablanca à Agadir et, souvent, jusqu’à Tantan.
La mère d’Henri travailla, elle, comme contremaîtresse, à l’usine de jeans SCIM (Société de confection industrielle de Mazagan) près du château Buisson, de 1957 à 1965. Le directeur était M. Lamouliatte et y travaillait aussi Mme Reyna, Mme Diaz, Santoja et André Diaz (dit Dédé). La famille habitait alors près de la place Moulay Hassan où se déroulait de nombreuses fêtes et où s’installaient les cirques Amar et Bouglione. Ils étaient voisins de familles musulmanes, juives et chrétiennes comme les Lahlali, Gaillard, Haziza, Karoutchi, Zinifi et Chaouia.
Ignacio Ribeiro aimait beaucoup le football et assistait à presque tous les matchs au grand stade de Mazagan. Il jouait aussi comme gardien de but dans l’équipe des vétérans avec les frères Lopez, Sanchez, Fornes et Puglisi. Plusieurs matchs se déroulaient aussi au stade du lycée Ibn Khaldoun. Au café Yacoubi, en centre-ville, il suivait les grands matchs de football retransmis à la télé et, par la même occasion, il retrouvait ses amis : Valenton, Slowick, Ansado, Sanchez, Nassiri et Ramos. Il organisait également des concours de cartes clôturés parfois par des méchouis.
Feu Henri Ribeiro représente un bel exemple de l’héritage méditerranéen de Mazagan. Qu’il repose en paix.
Mustapha JMAHRI (jmahrim@yahoo.fr)

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