RENTRER AU PAYS OU PAS?

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Agadir

Une magnifique  histoire « racontée »  (pour eljadidascoop) par Rabiâ Mokhlesse: Artiste plasticienne, militante des droits des femmes et citoyenne engagée

RABIA Moukhless Franoux

Le Trajet Algesiras – Tanger est le plus convoité pour se rendre au Maroc. Ceci est lié au fait qu’il rejoint l’Espagne au Maroc sur à peine 15km. C’est un axe de choix pour tous ceux qui transitent entre le sud de l’Europe et le Maroc. Crédits : D.R.

Des mois de réflexions sur le pour et le contre d’un retour au Maroc…

Après 16 ans de vie en France, vais-je quitter celle qui est devenue ma seconde maman, ma mère Patrie numéro 2. Celle qui m’a accueillie, qui m’a tant donné, qui m’a tant fait rêver lorsque je vivais loin. Celle pour laquelle je me suis investie, pour laquelle je me suis battue et me bats toujours… devient étouffante tant elle a changé pendant ces trois derniers lustres.

Elle a tant changé qu’elle me fait peur. Non pas pour moi (quoique ?) mais surtout pour mes enfants que je souhaiterais mettre à l’abri de ces idées délétères et de ces bruits de bottes qui s’avancent au loin.

Mais celle que j’ai quittée le cœur mi-figue (de barbarie), mi-raisin (macéré et mis en bouteille) est-elle encore conforme à mes souvenirs ? J’ai raté son évolution en n’y étant plus permanente. Ce n’est pas en faisant quelques visites ponctuelles pour les vacances que l’on peut connaître un pays même si ce dernier est votre pays de naissance. Tout change si vite. N’ai-je pas raté une marche de son évolution et, de fait, est-ce que je ne risque pas de me casser la G… en envisageant ce retour ? La responsabilité est encore plus grande sachant que ce coup-ci je ne suis plus seule.

Avant cela, nous avons décidé avec mon mari de faire un grand séjour au Maroc cet été avec les enfants. Histoire de voir ce qui s’y passe, si les enfants peuvent s’y plaire…

Donc nous voilà partis tous les cinq (le chien est du voyage comme de tous les voyages), en voiture, en plein mois de juillet. Le GPS au départ nous indique 1985 km pour aller de notre Bourgogne où mûri le raisin sous un soleil caniculaire, jusqu’à Algésiras où le Ferry nous attend pour nous transporter de l’autre côté comme près d’un million de Marocains résidents à l’étranger et rentrant pour les vacances histoire d’oublier le plus souvent la ZUP dans laquelle ils se languissent toute l’année en pensant au Pays. Ne pensez pas qu’il s’agit de la seule image, car il y a énormément de Marocains résidants de par le monde avec de belles maisons et de belles situations qui rentrent de temps à autre par avion en première classe… mais ce sont les premiers que nous nous attendons à côtoyer sur cette longue route et qui sont le plus visibles partout : sur la route, aux infos et sur lesquels on a craché si fort ces derniers temps par amalgame avec nos joyeux terroristes islamistes…

Nous avons décidé de faire de petites étapes histoire de ne pas trop nous fatiguer. Trop de gens se tuent sur les routes au moment des vacances. Une circulation dense, des gens qui n’ont pas l’habitude de conduire toute l’année et qui roulent jusqu’à épuisement pendant la période estivale pour gagner quelques heures de farniente sur une plage.

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Plage près de Beddouza (Safi)

Première étape Barcelone et en jour de semaine histoire d’éviter le rouge et le noir de bison futé qui me donne le spleen. Nous rigolons en croisant une voiture ou une camionnette hors d’âge et dont la caisse frotte presque la route tant elle est surchargée. Souvent le toit est muni d’une galerie sur laquelle un ballot informe trône enveloppé dans une bâche bleue ou noire. Ces quelques vestiges ont cependant quasiment disparu depuis que la douane marocaine leur fait les pires ennuis au moment du passage. Problème de génération et économique également. Car les plus jeunes ne rentrent plus avec des matériaux de construction amassés de-ci de-là pendant l’année pour se construire une casbah pour la retraite pendant l’été. Le Maroc ressemble maintenant tellement à l’Espagne des années 80-90 avec des constructions nouvelles par milliers et à bas coût aussi cela n’en vaut vraiment plus la peine.

Non, pour faire le tri entre les MRE (Marocains résidants à l’étranger) et les vacanciers européens se rendant sur les plages bétonnées d’Espagne, il faut être plus vigilant et regarder à travers les pare-brise de voitures tout ce qui a de plus anonymes. Et là, le paysage a quelque peu changé. Beaucoup de voile, quelques barbes telles qu’on les voit aux infos pendant les attentats et avec tout ce que l’on imagine et que l’on fantasme…

Seconde étape : Grenade. La route a été longue et nous faisons notre halte prolongée avec un caractère culturel. Nous décidons de faire visiter aux enfants l’Alhambra, chef d’œuvre de l’art mauresque au milieu duquel est posée la tour carrée de Charles Quint. À l’entrée, le petit panneau nous indique que notre chien est privé du droit à la culture, car interdit aux quadrupèdes ! Tant pis, je me sacrifie pendant que mon mari et mes enfants vont faire le tour sous un soleil de plomb. Je trouve un banc à l’ombre pour mon chien et moi et pendant qu’il fait une petite sieste, je fume quelques cigarettes en répondant aux messages de mes amis sur Facebook. Au bout d’un quart d’heure, je vois du coin de l’œil arriver deux jeunes couples, la trentaine, avec cinq enfants allant de 4 à 8 ans d’après mes estimations. Trois adultes sont visiblement d’origines maghrébines, mais un des hommes est visiblement un converti de type européen, blond aux yeux bleus. Tous sont habillée façon miniature persane du XVe siècle très en vogue aujourd’hui, du côté des montagnes afghanes. J’adore ! Ils se plantent devant l’entrée du dernier califat européen et commencent une leçon d’histoire parlant moitié français, moitié arabe, à l’intention de leurs enfants et au beau milieu d’une dizaine de badauds qui n’y prêtent pas attention. Et j’entends : « les enfants, voici l’Islam pur avant que tout ne foire. C’est pour cela que nous nous battons, c’est ce monde que nous vous préparons et c’est pour cela que nous allons déménager en Syrie». Le tout a été bien plus long et expliqué avec plus de détails, mais c’est bien la teneur de l’exposé. Je suis restée figée tout du long sans oser lever la tête, mais j’ai bien entendue et vu les quelques Français qui flânaient par-là, accélérer le pas pour s’éloigner au plus vite. Mais que fait la police, me suis-je dit ?

Dès le retour de mon mari, j’ai évoqué cette anecdote, hors de la présence de nos enfants bien sûr, partagée entre le tout sécuritaire qui est prôné partout, mais qui pourrait vite dériver sur les libertés publiques et l’incrédulité de pouvoir entendre de tels discours en pleine rue.

Pour la suite du voyage, j’ai eu peur, telle une boule au ventre, de ce que nous pouvions découvrir dans un pays musulman…

Grenade-Algésiras : la route a défilé, mais j’avais le cœur lourd. Arrivés au port nous avons dû attendre deux heures le prochain départ. En discutant, nous avons fait le point et remarqué que les aires d’autoroutes espagnoles étaient toujours sales, mais moins que dans nos souvenirs. Les familles marocaines faisant la sieste sur des couvertures entre deux voitures ou sur les quelques carrés d’herbes des stations ont presque totalement disparues du décor, tout comme celles qui sortaient le petit réchaud à gaz pour y faire tourner la cocotte. Par contre, nous avons vu plusieurs personnes de tous âges sortir leur petit tapis pour faire la prière, ce que nous n’avions jamais observé ou remarqué auparavant.
Pendant cette pause, nous avons discuté avec un marocain de 61 ans venant d’Oyonnax, petite ville de l’Ain connue pour son équipe de Rugby du Top 14. Comme tous les méditerranéens, le contact est facile tout comme la discussion. Ce dernier nous a annoncé que c’était son dernier retour avant la retraite. En poussant plus loin, il nous a avoué qu’il pensait autrefois jouir de sa retraite en France auprès de ses enfants qui ont tous fait leur vie ici, mais que face à ce qui se passait ces dernières années, il leur avait annoncé qu’il avait décidé de couler ses derniers jours paisibles au Maroc…
Je n’étais donc pas seule à constater que la France peut devenir étouffante pour certains de ses enfants.

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Port Tanger- Med

Embarquement, la voiture est dans la soute et nous montons sur le pont. Le temps est beau, la mer est calme et il ne nous faut pas longtemps pour observer les côtes d’Afrique du Nord qui ne sont qu’à 17 km à vol d’oiseau. Dernier contrôle de douane au sortir du bateau et nous remarquons que les voitures conduites par des barbus ou embarquant des femmes voilées sont systématiquement mises sur le côté, afin de subir un contrôle approfondi.

Encore trois 3 kilomètres et nous serons à la frontière.
Grosse surprise, après le passage espagnol qui se fait sans soucis pour notre voiture, vu les occupants, là où nous connaissions une sorte de gigantesque parking à moitié défoncé où les voitures jouaient à touche-touche pour gagner une ou deux places, se trouve un douanier marocain souriant et bien propre sur lui, nous indiquant une des six ou sept files existantes, canalisées par des trottoirs et où tout le monde doit sagement attendre son tour. Vu l’afflux de voitures débarquées par le port, cela dure un certains temps. Au moindre coup de klaxon énervé, un fonctionnaire de police se précipite pour faire taire l’impatient. « Klaxon-city », comme l’appelait à juste titre, mon grand est devenue bien sage et disciplinée. Des équipes en uniforme bleu portant les lettres « propreté » dans le dos, sillonnent les files de voitures et ramassent systématiquement les mégots écrasés par les vacanciers en attente de leur tour. Mais quel est ce pays que je ne connais pas, ou plus devrai-je dire?

À notre tour, les formalités sont expédiées, les fonctionnaires tout polis avec des « bonjour », « merci », « au revoir et bon voyage »… Il faut croire que le Roi et le gouvernement marocain ont vraiment décidé de chouchouter les vacanciers.

À la sortie de la douane, nous sommes agréablement surpris par la route. Les 15 kilomètres traversant la montagne pour arriver à Tanger Med ont été entièrement reconditionnés pour le, plus grand bonheur des voyageurs. Le goudron est nickel, aucun nid de poule, des barrières de sécurité partout. Par contre, à chaque détour de la route, nous rencontrons des grappes de migrants sub-sahariens nous faisant signe sur le bord de la route. Les 10 premiers nous ont intrigués. Les 100 suivants nous ont inquiétés. Tous les autres nous ont fait prendre conscience du malheur des gens que nous voyons chaque jour depuis des semaines à la télévision se presser contre les frontières.

Tanger-Med. Les infrastructures portuaires sont toutes neuves et énormes. Les usines aux alentours se sont multipliées et nous voyons bien où se trouvent les chaînes de production automobile qui coûtent soi-disant si cher en France. C’est l’entrée de l’autoroute qui va nous conduire à notre première étape : Fès. La ville où je suis née, celle qui m’a vu grandir jusqu’à mon Bac.

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Fès

L’autoroute est nickel, tout comme chaque aire dans laquelle nous nous sommes arrêtés. Un personnel nombreux et impeccable, des équipes de nettoyage qui tournent partout, un gasoil à 75 centimes, le bonheur ! À table, en buvant notre premier thé à la menthe (enfin les enfants et mon mari, car moi je reste accroc au coca) j’esquisse un sourire en voyant les Marocaines résidentes permanentes, habillées à l’européenne et fumant des cigarettes, faire des remarques désobligeantes en direction des Marocains résidents à l’étranger, en djellaba et voilé, baissant la tête en présence d’un homme…C’est face à ce type d’image, pour moi indélébile, que j’ai compris combien les choses avaient changé. Lorsque j’étais petite, nous attendions avec impatience tous ces immigrés, dont les enfants arrivés habillés à la mode occidentale, avec des fringues, des jouets et des livres auxquels nous n’avions pas accès. C’était comme si un supermarché apparaissait le temps d’un été. Les quelques voisines en âge de se marier arboraient une tenue traditionnelle et le voile uniquement pendant cette période en espérant qu’un voisin ou un vague cousin de passage ne la choisisse pour l’épouser en pensant trouver une part de la tradition alors que le reste de l’année, ces mêmes filles portaient jeans et baskets et ne pensaient qu’à flirter malgré la pression sociale. Tout cela dans le secret espoir de se retrouver dans les bagages à destination de cette Europe, terre de toutes les libertés où elles pourraient s’émanciper et vivre loin des interdits et de la pression religieuse notamment.

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Marrakech

Et aujourd’hui, trente ans plus tard, après tous les combats qui se poursuivent encore aujourd’hui pour le droit des femmes, ces jeunes Marocaines, regardent d’un œil noir ces Marocains de passage, demeurant toute l’année en Europe venir avec leur voile et leur mentalité dépassée comme pour leur rappeler leur ancien carcan…
À croire que tout s’est inversé…

 

 

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