Par: Ahmed Benhima (eljadidascoop)
Le présent article voudrait soumettre à l’appréciation du lecteur un point de vue sur un sujet qui me préoccupe constamment et que les événements du Rif et son harak me rappellent aujourd’hui. Il s’agit du fossé béant qui existe et qui se creuse chaque jour davantage entre une minorité de marocains très fortunés et une majorité d’autres marocains excessivement pauvres, voire franchement misérables. C’est une véritable menace pour la paix et la stabilité sociales qui fait son apparition et donne des soucis à l’annonce de chaque crise réelle ou feinte, nationale ou internationale. Ce fossé est exacerbant. Il irrite et suffit, de mon point de vue, pour provoquer et justifier un harak. De plus, dans cette configuration sociale, la classe moyenne, constituée principalement de cadres, petits et moyens, et de salariés, est statistiquement insignifiante. La qualité de sa vie se dégrade de jour en jour et tend à rejoindre celle encore plus détériorée des petites classes, par l’acharnement de gouvernements politiciens qui l’imposent lourdement, sans arrêt, à la faveur de protégés (Serviteurs d’Etat, parlementaires et conseillers, détenteurs privilégiés et exclusifs de tout ce qui produit la fortune, bénéficiaires d’économies de rente, de dispenses d’impôts, de corruptions et d’impunité). Donc, c’est dans ce contexte très tendu que le soulèvement populaire est survenu au Rif. Il aurait pu survenir n’importe où ailleurs, dans n’importe quelle autre région du pays où un déclencheur serait apparu tant le mal est général. Il se trouve que c’est au Rif et plus précisément à Al Hoceima que l’étincelle a surgi. Son motif était le décès tragique du poissonnier feu Mohsine Fikri. Mais c’est tous les jours que des marocains meurent, lentement et tragiquement, sous l’effet de l’escalade des prix des produits et services de base, sous les effets et les annonces de « réformes » économiques qui visent, sciemment ou non, la sécurité alimentaire et les droits sociaux (Privatisations, décompensations, taxations, manœuvres monétaires…). Les gouvernements successifs justifient invariablement ces mesures par des déclarations insensées et des arguments guère clairs et guère convaincants. La précarité économique, les disparités sociales, l’indigence culturelle qui en découlent, associées à la corruption et à l’immunité ont généré évidemment le malaise et rendu la situation explosive. On est donc bien dans la revendication politique, sociale et culturelle. On ne requiert pas plus qu’un peu de démocratie, de considération et on ne réclame pas plus que de la fermeté vis-à-vis des responsables. On n’est, selon toute apparence et en dépit de quelques rares dérives ou maladresse, ni dans le séparatisme ni dans la désobéissance, encore moins dans la « fitna » ou dans les irréligieux. Le peuple marocain est habituellement acquis aux causes nationales sacrées. Il ne spécule jamais avec l’intégrité du territoire, avec sa stabilité ou sa sécurité. Le peuple marocain est spontanément, résolument attaché et fidèle à l’auguste personne de Sa Majesté Le Roi, Chef suprême de la nation et Commandeur des croyants.
Alors, y-a-t-il maintenant moyen de remettre un ordre plus acceptable, plus raisonnable dans notre société ? Celui qui prévaut actuellement ne convient plus et mène vers des problèmes ingérables. Y-a-t-il moyen d’établir et de faire admettre des critères plus justes et plus rationnels dans la répartition des richesses matérielles et immatérielles nationales ? Ceux qui sont en place sont insuffisants, imparfaits et inacceptables. Y-a-t-il moyen d’adopter un mode de gestion des affaires et des fonds publics plus transparent, plus responsable et plus intelligent ? Celui qui prédomine est faible et défectueux. C’est justement cela qu’exigent les voix qui se sont élevées à Al Hoceima et que répètent en échos celles de toutes les régions du Maroc. Ces voix, le devoir des responsables, le bon sens et la sagesse communs dictent de les écouter, de les comprendre et d’en tenir compte, non de les étouffer, pire encore, de les dénaturer ou de les ignorer.
Ma réponse aux questions ci-dessus est affirmative. Oui, ces objectifs peuvent être atteints. Certes, les écarts ne disparaîtront jamais tout à fait. Ils sont inévitables parce que l’être humain n’est pas parfait mais s’ils n’en persistent que ceux qui seront justifiés par le mérite et rien que par le mérite, ils seront tolérés. Ceux qui seront imposés par l’abus seront décriés, rejetés et combattus. Ces objectifs ne sont pas utopiques, ils relèvent du possible. C’est même le contraire qui est impossible. Aucun peuple ne supportera indéfiniment les privations, l’injustice et l’humiliation quand son élite se permet le luxe, l’opulence et les débordements. Il obtiendra ses droits pacifiquement, au moyen de processus démocratiques ou il disparaîtra. Mais en disparaissant, il entraînera dans le chaos et la violence qu’il provoquera aussi bien ceux qui s’enrichissent et se croient à l’abri que ceux qui se paupérisent et se sentent lésés et délaissés.
Au Maroc, nous sommes lassés de promesses que personne ne tient, outrés d’abus que personne ne freine, écoeurés de politiques d’échecs que reproduisent les gouvernements qui se relaient. Notre pays a besoin de réformes globales et authentiques sous l’égide de Sa Majesté Le Roi qui en confiera l’exécution et le suivi à des femmes et à des hommes compétents, intègres et consciencieux. L’intérêt de notre pays le nécessite, sa population le réclame. L’écart exubérant doit se réduire par des mesures drastiques et urgentes. Si chacun est rétribué à hauteur de ses mérites, récompensé à hauteur de ses efforts et de ses talents, proportionnellement au niveau de vie réel de son pays, si moins d’argent est mal dépensé, est moins détourné, alors malgré les différences inévitables de chance et de fortunes , aucun individu, homme ou femme, jeune ou moins jeune, dusse-t-il être le plus notoire des sots, le pire des paresseux, ne sera plus déchu de sa condition d’être humain pour tomber au niveau des bestiaux errants, sans soins et sans dignité. Une opération si importante ne se conçoit, à mon avis, qu’après la révision et la refonte du système éducatif qui visera la généralisation et l’offre d’un enseignement public consistant, qui visera l’éradication de l’analphabétisme et l’ignorance, l’irrationnel et l’inculture, l’incivisme et l’égoïsme. On ne réussira jamais sans ces conditions. Il faut transformer les mentalités que des décennies de paresse, de dédain pour l’intérêt général ont malheureusement marquées. Il faut cultiver et développer les valeurs de la discipline, de l’innovation et de l’entreprise. Les asiatiques l’ont parfaitement compris et les résultats qu’ils ont atteints doivent nous inciter à faire autant. Les autres réformes, dans les autres secteurs, suivront plus rapidement et plus facilement. Mais nos dirigeants se plaignent que l’enseignement coûte trop cher et ils n’ont pas entièrement tort. Il faut seulement comprendre pourquoi. Ce n’est ici ni le moment ni le lieu de développer cette problématique. Disons brièvement qu’Il coûte trop cher, déjà parce que les budgets qui lui sont alloués et qui sont issus de l’argent des contribuables sont mal dépensés, dilapidés ou détournés. Il coûte trop cher parce que beaucoup de décisions et d’initiatives sont prises par des gens inaptes à le faire. Ces mesures engloutissent de grosses sommes d’argent et avortent désespérément. Il coûte trop cher parce que, déçues par cet enseignement entièrement discrédité, les familles préfèrent se saigner pour mettre leurs enfants dans des écoles de missions étrangères ou privées plutôt que de contribuer un tant soit peu à des frais de scolarité engendrés par un supplément de confort et de qualité.
Il en est ainsi des autres domaines et c’est seulement lorsque la confiance sera restaurée, que la dignité, la paix et la sérénité seront assurées que nous serons à l’abri d’agitations et de haraks avec leurs lots de sabotage, de ressentiments, d’affrontements et de dérapages.