
Par : Abdellah Hanbali
La sculpture au Maroc continue d’avancer cahin-caha et à se frayer son petit chemin, bien qu’à pas timides et hésitants.
Avec un tel rythme et une telle progression, elle n’arrive toujours pas à soutenir le tempo des autres arts et traine loin derrière la peinture, la photographie…
La sculpture au Maroc est victime de plusieurs facteurs :
-Les préjugés religieux: La reproduction et le façonnement de tout visage ou corps humain (Asnam) sont bannis, d’après certains, dans la religion musulmane. Ces convictions religieuses ont fini par avoir raison de bien d’artistes, en dépit de leurs longues études et multiples formations.
Cependant, la question religieuse ne peut en aucun cas tout expliquer à elle seule. Ce n’est nullement l’unique embuche à une réelle éclosion et un véritable rayonnement de la sculpture dans notre milieu artistique.
-Les moyens matériaux nécessaires pour se procurer les matières premières : Bois, pierre, marbre, bronze…ne sont pas étrangères à cette situation : « disons que c’est un art dont la pratique nécessite 25 fois plus de moyens que celle de la peinture à titre comparatif. » nous déclara M’hamed El Aâdi.
– L’effort physique que nécessite au quotidien cette pratique et qui varie selon la matière à tailler : Bois, bronze, marbre… constitue aussi un obstacle pour certains artistes dont la santé est parfois fragile, l’âge…
Ces facteurs majeurs et bien d’autres qu’on a omis de citer pour leur caractère plutôt mineur, ont fini tout de même par converger et constituer une entrave assez sérieuse capable d’intimider plus d’un artiste et à les acculer à « jeter l’éponge », rangeant moules, maillets, râpes, limes et consorts pour se libérer à d’autres occupations.
Cependant, ceux qui sont restés, sont parmi les plus imprégnés, les plus imbibés… et qui au dépend de leurs santé, de leurs temps, de leur argent … choisissent de « rester debout », comme pour défier le sort, comme des soldats défendant jusqu’à la dernière balle, ce qu’ils ont de plus cher…leur Art…La Sculpture.
Parmi ces « soldats de l’ombre »…Mhamed El Aâdi, l’artiste autodidacte, né en 1959 à Ouled Frej, et qui vit et travaille à El Jadida.
Nous avons pris soin de lui rendre visite dans son atelier, pour le voir travailler et surtout pour l’écouter parler passionnément de son art.
El Aâdi a une idée précise sur chaque œuvre à réaliser. Méthodiquement, il trace et retrace ses esquisses, passe au modelage, manie avec dextérité l’argile. Cela lui permet de jauger l’œuvre à exécuter et à se faire une idée sur les difficultés rencontrées et ainsi de suite, sur la meilleure technique, le meilleur moyen pour la meilleure exécution future de son œuvre.
Il façonne au fil des œuvres un univers qui lui est propre. C’est son monde d’enfance qu’il modèle plus exactement avec finesse, abnégation et sans aucune limite. Utilisant différents matériaux : La terre glaise, la pierre, et surtout le bois, son matériau de prédilection. Sous ses mains, la masse brute et rugueuse se transforme en une nouvelle, d’une flexibilité toute poétique, qui parvient à révéler les sentiments humains les plus forts, grâce à des lignes épurées qui vont à l’essentiel sans laisser de place aucune au superflu.
Nous sommes alors en face d’une renaissance, d’une sur-vie qui repose sur une sculpture abstraite de la pudeur.
Nous sommes alors en face d’une jouissance sans commune mesure, d’un nirvana rarement atteint ou tout simplement du jouet que l’enfant a tant cherché à posséder, à parfaire du mieux possible et qu’une fois qu’il est là devant lui, il ne peut résister à l’ envie de le serrer dans ses bras et de lui chuchoter tout son amour, dans un mélange de tendresse, de douceur et …de larmes.

On peut voir, des petites figurines abstraites taillées en pierre, en marbres ou en bois qui nous interpellent à lire le monde autrement. Une femme voilée en noir devant le grand portail de la Médina ceinte de remparts, des corps d’enfants nus allongés sur les murailles ocres qui jouxtent le littoral, des mouettes blanches survolant joyeusement les petites barques de pêche qui frôlaient les vaguelettes dorées et les quatre bastions qui gardaient des maisonnettes ruinées et abandonnées. Tout part de la Cité, tout parle de la Cité.
« Pour moi, trois choses sont importantes, nous confia El Aâdi :
-Définition de la matière à tailler.
– La passion : Ne jamais travailler sous pression, par obligation…
-La sensibilité à mon travail : Je ne sculpte pas un cheval ou une autre création connue de tous, mais une œuvre que j’ai imaginé, qui s’est ancrée dans ma tête, qui exprime diverses choses pour moi, arrive à éveiller mes sens et à me pousser à se surpasser pour la communiquer aussi fidèlement que possible à autrui, tel un message codé entre moi et cet autre qui me contemple en contemplant mon œuvre et dont tout décodage n’est possible qu’à travers ce parler…ce langage universel :L’Art et rien que l’Art »
Autrement, la sculpture réaliste ne le satisfait guerre Quant à la sculpture abstraite : La recherche des formes purement esthétiques, elle ne le satisfait pas non plus. Il estime en revanche, que les formes abstraites qui sont belles par elles-mêmes et qui peuvent être parfaites par leurs trois dimensions, peuvent acquérir une dimension supplémentaire, la « quatrième », lorsqu’elles expriment une signification humaine. Il s’agit là pour lui d’un point essentiel car, s’il cherche aussi de belles formes, il veut qu’elles disent l’amour, la joie, la tristesse, etc. Il est certain pour lui que, dans ce domaine, beaucoup reste à réaliser (…).
Dès 1988 les sculptures d’El Aâdi suscitent l’intérêt du public. Imposantes, elles ont trouvé leur place dans l’environnement urbain d’El Jadida, Casablanca, Sidi Bouzid ou Nador.